Dans les plis d’un vallon apparaît au loin un petit village. Le brouillard est dense mais la silhouette carrée d’un clocher nous apparaît, massif et imposant, il détonne, seul quelques maisons peureuses se blottissent à ses pieds.
Nous rapprochant, l’édifice entier se dévoile, une grande et belle église s’offre à nos regard.
Pourquoi un tel lieu de culte pour si peu d’âmes ?
Quel est cet endroit munificent dans cette bourgade paysanne ?
Nous sommes à Lanville ou plus précisément à Marcillac-Lanville et ce vaisseau échoué au cœur de la campagne Charentaise est l’église prieurale de Lanville.
La fondation de ce lieu est ancienne, 1120 à ce que l’on dit. Comme à chaque implantation chrétienne une source n’est pas loin et a présidé au choix de l’emplacement. En outre le chemin qui va à Saint Jacques de Compostelle ( via Turonensis ) passe par la route pierreuse de Lanville pour aller traverser le plus beau des fleuves au pont de Marcillac.
La règle qui régit ces lieux est celle de Saint Augustin.
Bien sur les lieux ont changé depuis leur création, la guerre de 100 ans puis les guerres de religion ont laissé des traces indélébiles de destruction. Le beau cloître qui jouxtait l’édifice n’est plus que ruine et témoigne avec peine d’une splendeur passée.
Depuis 1569 le prieuré est unit à l’abbaye Saint Geneviève du Mont, après la destruction du cloître et des bâtiments conventuels d’origine, les moines sont logés dans des nouveaux locaux près de l’église.
La petite communauté avec à sa tête un prieur prie et gère un ensemble de terres agricoles. Labours , vignes, élevage et perception des dîmes font de l’ensemble un pôle économique qui rejaillit sur la région.
Je pénètre maintenant dans l’édifice et en traverse le transept, seul le bruit de mes pas fait écho dans l’immense vaisseau de pierre.
J’arrive à la croisée, à ma gauche la nef aux murs recouverts de fresques, à ma droite le chœur et son abside.
Un simple autel recouvert d’une nappe rouge, au dessus de nous s’élevant majestueuse une vaste coupole, l’une des plus grandes de l’Angoumois, après Angoulême, Cognac et Saint Amant de Boixe
Autour de l’autel des stalles de bois brun ne semblent attendre que la communauté.
En moi résonne la beauté des chants qui s’élèvent des hommes en noir.
Les paysans chapeaux bas écoutent religieusement les douces mélopées latines, le curé prieur officie et soulève vers les cieux le saint corps du Christ. Les vitraux de leurs chaudes couleurs réchauffent les pales rayons du soleil
Bénédicité des églises l’endroit est magique et me transporte.
A l’aplomb du centre de la coupole une stèle funéraire attire mon regard.
HIC JACET
DOM GREGORIUS
ROLICHON
PRIOR ET PASTOR
OBII
ANNO MDCC
Ci gît maître Grégoire Rolichon, prieur et prêtre mort en l’an 1700. Après l’inscription MDCC l’on distingue d’autres lettres. Grégoire Rolichon est mort en fait le 2 février 1771.
Cet homme fut à n’en point douter le chef de cette communauté pour être enseveli sous ces dalles séculaires.
Plongeons nous dans les registres et remontons le temps.
Le 3 février 1771 le jeune prieur curé de Lanville est sur le point d’être inhumé, mort la veille à l’age de 35 ans, il dirigeait le prieuré depuis à peine un an. Se nommant Messire Grégoire Rodichon issu d’une famille aisée, rejeton de noble extraction il avait été nommé à ce poste important grâce à ses appuis familiaux.
La nef est pleine, les paysans des environs se pressent, le narthex et même le parvis sont pleins d’une foule empressée.
Sur les bancs de devant les notables puis les gros laboureurs s’affichent, les gens de moindre condition s’entassent à l’arrière.
C’est Dom Bernard le vicaire qui va dire la messe, depuis des années il espère devenir prieur et secrètement pense maintenant le devenir.
Le chapitre est là en entier, Deval, prieur et curé de La Chapelle et chanoine régulier, Derick le chancelier chargé des registres, Chambon le prieur et curé de Souvigné .
Il y a aussi Sauvage l’archiprêtre d’Ambérac, Coulaud le curé de Mons et Petit le curé de Villejésus.
L’ensemble des religieux profès est réuni, tous ont quitté leur tâche. Le chevecier a orné l’autel des plus belles bougies et le préchantre s’apprête à donner de sa plus belle voix.
Les oblats intimidés et les prébendiers se serrent au fond de la croisée, ils aimaient se noble prêtre qui du haut de sa charge les protégeait et les faisait vivre.
Dans la nuit les fossoyeurs avaient descellé quelques dalles et creusé un trou. Ils n’avaient guère creusé profond comme il était d’usage mais avaient eu de la chance car des os des précédents occupants ils n’avaient point trouvés.
Messire Rodichon eut droit à une belle messe, la pierre fut scellée puis gravée. Aucun outrage ne lui fut fait et aujourd’hui encore dom Grégoire préside à la destinée des lieux.
Sa mort prématurée lui épargna les tourments de ses pères, il ne connut point la vente du prieuré et le renvoi de ses malheureux occupants.
Père Bernard devint enfin prieur.
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Souvigné, petite localité près de Villefagnan qui possédait un prieuré dépendant du diocèse de Poitier mais appartenant à celui de Lanville.
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La Chapelle est une petite localité de l’autre coté du pont de Marcillac.
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Villejésus, localité proche d’Aigre sur la route de Villefagnan
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Mons, petite paroisse à quelques kilomètres de Lanville qui possédait aussi un prieuré
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Un archiprêtre avait à charge une archiprêtré qui réunissait plusieurs paroisses sous sa responsabilité et surveillance.
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La via Turonensis est le chemin qui partait de Paris, passait par Orléans et tours, Poitiers, Melle, Saintes ou Angoulême, Bordeaux , Bayonne.
- Le prieuré a été vendu comme bien National en 1791.