UN MARIAGE D’AUTREFOIS

Église saint Sulpice dominant le village

Le jour n’était pas encore levé que déjà le cortège se mettait en branle. Pas une âme qui vive dans l’aube froide de ce matin d’hiver, le village est morne et silencieux.

Plus pour très longtemps, Charles donne le signale, aspirant au mariage , il se doit d’aller inviter les derniers convives de sa noce.

Le violoneux et le joueur de fifre ouvrent le chemin et font entendre leurs notes joyeuses au bourg de Saint-Loup-De-Naud. Ils remontent de Courton le bas jusqu’aux premières maisons blotties aux pieds de la vénérable église. Le groupe est conduit par le futur, d’une famille de vignerons implantée depuis des temps immémoriaux sur les collines du village , il a 27 ans et se nomme Charles Beaumont.

Sa promise se nomme Anne Cordier, elle a 22 ans et est issue d’une famille vigneronne. Tous deux de la paroisse, ils se connaissent depuis toujours.

Les mariages en cette époque relevaient le plus souvent d’un accord entre deux parties. Un contrat passé devant notaire tenait lieu de mariage civil et était aussi important que le mariage religieux.

Le mariage entre Charles Beaumont et Anne Cordier était doublement endogame. Endogamie régionale car de la même paroisse et endogamie professionnelle car les deux familles étaient vigneronnes.

Les vignerons Briards possédaient leurs propres parcelles, mais leur taille très réduite ne permettait pas le partage. Pour préserver le patrimoine familial et l’arrondir éventuellement il fallait donc que les jeunes se marient aux grès des intérêts de l’ensemble des fratries.

Dans un joyeux tintamarre, ils arrivent à leur première destination, les musiciens entament une aubade de circonstance et Charles pénètre à l’intérieur de la maison.

Le propriétaire des lieux n’est nullement surpris d’une telle intrusion matinale, il en est fort content et offre le coup à toute la troupe de joyeux drilles.

Il a été convié par Charles au déjeuner d’avant noces qui a lieu à 8 heures et à la noce elle même qui se déroulera à 11 heures.

En sortant Charles trace maladroitement sur la porte que l’aubade y a été donné. Le cortège continue sa route et frappe à la porte de nombreuses connaissances.

A ce rythme, chacun est fort énervé du vin briard.

Toute la noce n’était évidemment pas invitée de cette manière, la plupart étaient prévenus à l’avance.

Mais il ne fallait pas froisser les sensibilités et n’oublier personne, car le ressentiment en était très fort.

Au vin depuis l’aube les garçons arrivèrent fort échauffés à la maison, le barbier qui officiait depuis un bon moment déjà, les attendait dans un coin de la grange. Les femmes étaient déjà prêtes à servir le déjeuner.

Les noces paysannes se déroulaient sur 3 ou 4 jours. Le mariage avait lieu traditionnellement en Janvier ou Février ou après les travaux d’été. Il n’était jamais pratiqué en décembre pendant l’avent, ni en mars,  ni avril pendant carême.

Faire maigre pendant une noce et ne pouvoir goûter au fruit tant attendu ne pouvaient se concevoir.

Pendant l’été, les travaux des champs n’autorisaient guère de faire la noce pendant 4 jours.

Le choix du jour était aussi important, pas le vendredi, ni le samedi à cause de la passion du Christ.

Le dimanche était jour du seigneur. Il restait si l’on voulait faire une belle noce le lundi ou le mardi.

Les Beaumont et les Cordier se sont accordés pour le Mardi 27 janvier 1717, comme cela la fête se prolongera jusqu’au jeudi et les préparatifs se feront le lundi.

Toute la noce est maintenant arrivée , le déjeuner prélude au festivité a été préparé depuis la veille par les femmes de la maison et particulièrement par les sœurs des futurs, Marie Mauretour et Magdeleine Bodot, les mères respectives étant décédées.

Cette mise en bouche festive est composée d’abattis, c’est à dire de tous les restes des volailles qui seront servies lors des prochains repas. Les têtes, les cous, les ailes, gésiers, crêtes de poulet et testicules de poulet ( rognon blanc ), préparés en ragoût, mettent l’ensemble des convives dans le ravissement le plus complet.

Anne dans sa belle robe rouge se voit offrir par les jeunes filles du village des fleurs qui viennent agrémenter son joli bonnet, Charles qui est du village se voit offrir des fleurs rouges ornées de rubans multicolores.

Au 19ème siècle apparaîtront les fleurs d’oranger signe de la pureté virginale, au 18ème siècle les fleurs de ce type n’existaient pas dans la campagne Briarde. Les fleurs offertes représentaient plus la joie et l’honneur que la pureté.

Il faut signaler que le bouquet n’est offert à l’homme que si il est du village. Même si il ne vient pas de très loin, il est quand même un étranger qui vient ravir une épouse potentielle.

Il faut maintenant partir à l’église, le cortège se forme, il n y a pas long de Courton le Bas à la magnifique église de Saint Loup. Chacun a revêtu ses plus beaux atours et la musique en tête, la noce s’ébranle. Les habitants du village sont tous dehors et félicitent chaleureusement Charles et Anne. Bons nombres viendront ce soir danser avec les convives, un mariage en cette époque est affaire de tous.

Le curé Pouget les attend sous le porche à étages, ouvert sur trois faces par une grande arcature.

Devant les six statues qui encadrent la porte, le père invite la noce à pénétrer dans le sanctuaire.

Mariage de paysans dans une église de roi, l’endroit est magnifique, planté fièrement sur la colline depuis le 12ème siècle ce chef d’œuvre de l’art roman dédié à l’évêque de Sens Saint Loup forme un écrin idyllique à cette future union.

Les jeunes filles de la noce et la fille d’honneur offrent le bâton de la vierge à la mariée, tous de concert se portent jusqu’au chœur.

Le curé bénit l’union de Charles et d’Anne, le bâton lui est ensuite enlevé et le mari lui passe l’anneau nuptial.

Le sacrifice est consommé les deux époux s’agenouillent sous un drap tendu par les garçons de la noce.

Le prêtre bénit les des jeunes épousés sous cet abri.

Image un peu plus tardive mais qui donne une idée exacte d’un mariage sous le drap

Le bâton de la vierge est une bannière représentant la vierge, qui se portait aussi pendant les processions

L’usage de se faire bénir sous un drap s’appelait faire une cérémonie sous le poêle ( de pallium, pièce de tissu rectangulaire )

Pour les chrétiens il symbolise la nuée lumineuse, c’est-à-dire la manifestation de la protection glorieuse de Dieu et montre l’attachement entre les 2 mariés et leur appartenance réciproque.

Dans les débuts de la chrétienté  le mariage se faisait au domicile avec les parents, puis les 2 époux étaient conduits sous un voile devant un prêtre qui effectuait la bénédiction nuptiale.

Cette cérémonie a perduré jusqu’au 20ème siècle dans certaines régions et dans divers pays.

La cérémonie est maintenant terminée, Charles et Anne sortent de l’église, sous le porche la foule se presse, une grande partie du village se trouve réuni, les Beaumont et les Cordier sont apparentés à grand nombre de famille.

Sous les cris une cousine d’Anne s’approche avec une bassine remplit de bouillon épicé, Marie lui tend une cuillère crénelée et l’invite à boire le breuvage, le marié en fait bientôt autant et à la suite l’ensemble de la noce. L’atmosphère est joyeuse et chacun se réjouit de la journée festive qui s’annonce.

Ce breuvage s’appelle le bouillon de la mariée, but avec une cuillère délibérément coupante il symbolise les difficultés de la vie que la mariée déjouera avec adresse et sagacité.

La journée continue par les réjouissances mais un petit cérémonial est encore prévu, le cortège s’ébranle au son du violon et du fifre, Charles prend Anne par le bras.

La destination est la demeure paternelle de l’épouse. Arrivée sur place Anne se détache et frappe à la porte close.

  • Père ouvrez moi.
  • Non vous n’êtes plus de cette maison.
  • Je suis votre fille, laissez moi entrer.
  • Si vous voulez entrer, il vous faut alors chanter.

Anne s’exécute alors.

Je suis mariée,

vous le savez bien.

Si je suis trompée,

vous n’en saurez rien.

Ouvrez moi la porte,

je dînerai bien.

Ouvrez moi la porte,

Je vous aimerai bien

etc

La porte s’ouvre enfin et chacun y pénètre, pour se faire servir à boire.

Nicolas Cordier vigneron met en perce pour la circonstance un tonneau de sa production et devant la maison dans le pré les premiers pas de danses s’esquissent en attendant le dîner.

Petit intermède, qui vient rappeler que la jeune fille n’est plus sous la tutelle du père mais sous celle du mari.

Vers 2 heures de l’après midi, on passe à table, les mariés président entourés de la famille la plus proche.

Le repas est gai, mais les jeunes préfèrent la danse, pendant que les plus anciens échauffés par le vin entonnent des chansons paillardes.

Dans le pré, sous l’œil attentif mais compréhensif des aînés des premiers rapprochements se forment augurant de prochains mariages.

Certains plus délurés échappent aux regards et vont se bécoter dans la paille. Combien de petits vignerons Seine et Marnais seront issus de ces tendres enlacements ?

L’heure du souper arrive bientôt, l’appétit aiguisé par les airs endiablés du violon, la noce se met à table de bon cœur. A vrai dire certains ne l’ont pas quittée et sommeillent déjà sur leur chaise dans les bras de l’ivresse.

Charles revêt un tablier et se met à servir, c’est une obligation d’hospitalité, bien sur le service sera effectué par des jeunes garçons du village.

On donnait à ses serveurs le titre de Calvin, c’était une allusion blessante au grand réformateur. Le service dans une noce était considéré comme un ouvrage de chien et l’on attribuait volontiers au protestant l’épithète de  » chien de Huguenot  ». On appelait donc les jeunes qui effectuaient ce service de chien des Calvin.

Bien sur cette tradition n’existe plus et de toutes les noces ou j’ai participé en Seine et Marne jamais je n’ai entendu ce vocable.

Charles et ses Calvin font le service, les plats s’égrainent et le petit vin briard fait son effet.

Les couplets coquins s’enchaînent et tout le monde est fort joyeux.

Au milieu de la nuit un vacarme se fait entendre et une voix psalmodie

  • Ah ben l’bonsoir, la sainte hotée

  • Ah ben l’bonsoir, la sainte hotée

puis un chœur reprend

  • Que l’guillonneau nous soit donné dans vot’e maison

s’ensuit une chanson ou le chœur, puis les mariés reprennent des couplets, puis Charles laisse entrer la troupe chantante. Jeunes filles et garçons du village  ,ils ont revêtu les pires oripeaux et se sont fardés de farine et de suie.

L’un d’eux porte une hotte de vigneron et entame le tour de la table, les convives versent dans le panier les restes alimentaires du repas, agrémentés de bouteilles de vin cela va s’en dire.

Une fois chargée la troupe s’en va partager le repas ainsi constitué, Charles comme de coutume les invite à poursuivre le bal avec la noce.

Aucun paysan n’aurait refusé l’accès au Guillonneau, cette tradition bien ancrée faisait aussi référence à l’hospitalité.

Guillonneau est l’action de guillonner et dérive du mot guinauder qui veut dire mendier.

Puis vint le moment tant attendu de la vente de la mariée, tout le monde est surexcité, un garçon du village qui par ailleurs se serait bien marié avec Anne prend la tête des opérations. Une première enchère arrive, chacun maintenant se dispute la possession de la mariée, les anciens, les femmes et les jeunes garçons se livrent une bataille acharnée. Les commentaires grivois fusent et Anne est rouge de confusion. Charles n’est guère satisfait de la tournure prise, quelle tradition idiote, on se croirait à la foire aux bestiaux ou au marché aux esclaves.

La fin de la vente approche, il n’y a plus d’enchérisseur, un grand benêt de Colombe le village d’à coté, un peu cousin par la mère de la mariée obtient la femme convoitée.

Anne est maintenant prisonnière et Charles doit verser une rançon pour la délivrer, le groupe de turbulents fait monter la somme. Le marié commence à s’énerver et chacun comprend.

La somme demandée est récupérée puis donnée aux demoiselles d’honneur pour l’acquisition de dragées.

Charles a enfin récupéré sa femme et l’invite à danser.

La tradition de la vente de la mariée s’est perpétuée dans la vente de la jarretière. C’est un peu le même principe, des enchères orchestrées par un convive et une robe qui monte ou qui descend en fonction du sexe de l’enchérisseur. La jarretière est un élastique qui autrefois retenait les bas. Elle est placée très haut sur la cuisse et bien sur l’intérêt est que celle ci se dévoile. Si l’enchère finale est remportée par une femme la jarretière reste en place, si un homme gagne il doit enlever le galant élastique lui même.

Bien sur suivant le degré éthylique les propos deviennent un peu osés, cette tradition qui pour être gênante pour la mariée avait l’avantage de garnir la corbeille des mariés de quelques billets.

Bientôt tombée en désuétude et sous le coût des féministes qui trouvent avilissant cette remontée de robe et le dévoilement d’un carré de soie blanche.

Charles et Anne réussirent à s’éclipser, mais échappèrent -ils à l’œil vigilant des noceurs qui guettaient leur sortie.

La noce se poursuit généralement le lendemain, voir le surlendemain, toujours sous le même schéma, danses et ripailles. La noce se déplace également chez les invités des villages voisins où ces derniers sont tenus d’ offrir une tournée de vin Briard. Les convives s’en allaient traditionnellement au bourg pour offrir quelques ustensiles ou babioles. Les moyens financiers de chacun étaient fort réduits voir inexistants, mais c’était symbolique et tout le monde s’y prêtait.

3 réflexions au sujet de « UN MARIAGE D’AUTREFOIS »

  1. Grand Merci Pascal pour ce merveilleux Partage !
    Nous ascendants dont je ne connaissais pas l’histoire et grâce à Toi je découvre.
    Comment as-tu fait pour les obtenir ? Grand merci encore car pour moi, aujourd’hui 14 avril, j’ai 67 ans…. Ce partage ? un très beau cadeau d’anniv
    Je profite pour souhaiter de Joyeuses Pâques à toute la famille TRAMAUX
    Martine FLAIRE de Fouras-les Bains…

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  2. Félicitations pour cette page d’histoire populaire.
    Petite remarque: le patron de l’église de Saint-Loup semble être Sulpice le Pieux, évêque de Bourges.

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