UN CONSCRIT DE CHARENTE INFÉRIEURE EN 1813, LA MARCHE VERS MAYENCE ( épisode 2 )

grenadier-1813

Le 16 novembre 1812, nos paysans militaires partirent en direction de Brest, lieu de dépôt du régiment. En vérité cela faisait une belle promenade de 430 km, nous étions en novembre et la pluie était de la partie.

Le groupe était maintenant assez étoffé, quelques vieux soldats remontés d’Espagne, la peau tanné et l’âme dure furent chargés d’encadrer les jeunes recrues. Pour eux une sinécure, pas de guet-apens, pas de population hostile, presque des vacances par rapport à cette maudite Espagne qui a englouti les forces vives de la nation.

Seul un capitaine, vieux, impropre au service était monté sur un cheval. Encadré par quelques tambours la troupe disparate repassa sous la porte Dauphine et prit la direction de la Vendée.

Encore aucune trace d’équipement militaire, chacun était vêtu de sa tenue de paysan, certains en souliers d’autres en sabots, un pauvre hère marchait même pieds nus.

Les vignobles à eau de vie laissèrent place aux labours. La colonne s’allongea et l’arrêt dans le village de charron fut la bienvenue.

Les instructions du Capitaine étaient claires, amener l’ensemble des conscrits à bon port, il n’était pas question d’en perdre dès la première étape.

Logés chez l’habitant avec un bon de logement, l’accueil était bon, on était encore au Pays.

Une soupe, un bol de lait caillé, le lit du fils de la maison, entourés de jeunes filles curieuses, le gîte était bon.

Le lendemain au Brault ils passèrent la sèvre Niortaise et entrèrent dans les marais. Ce paysage plat et désolé, balayé par les vents, ponctué par quelques huttes dans les roseaux s’étirait sans attrait dans une vaste platitude. Le clocher de Luçon en ligne de mire nos soldats en sabots malgré les éléments déchaînés marchaient encore de bon cœur. Groupés par affinités ils devisaient en cheminant.

A Luçon ils récupérèrent d’autres camarades, un peuple de hutiers et de cabaniers qui s’exprimaient dans un langage qu’ Antoine avait du mal à comprendre.

Puis ce fut la traversé de la Vendée, tout y respirait la différence, la langue, les costumes et le paysage. La région portait encore les stigmates de la guerre civile, des villages ravagés, des métairies abandonnées.

Ils firent halte à Napoléon Ville, nouvelle préfecture qui remplaçait Fontenay le Comte.Vaste chantier qui par la volonté d’un seul transformait un petit village en capitale  de département. Des rues tracées au cordeau imprimaient à peine le nouveau ordonnancement de cette nouvelle ville, géographiquement choisie pour surveiller le rude peuple Vendéen.

Les étapes devenaient maintenant difficiles et certains traînaient la jambe. L’arrivée à Nantes stupéfia nos culs terreux, l’immensité de la ville contrastait avec tout ce qu’ils avaient déjà vu. Là aussi ils reçurent un bon de logement mais hantèrent les rues de la vieille ville un moment avant de trouver leur gîte. L’étape devait durer 2 jours afin de permettre aux plus faibles de rejoindre et de reprendre des forces.

De la vie militaire toujours rien, de la marche et encore de la marche. La troupe s’agrandissait au fur et à mesure de la progression vers la pointe Bretonne. Un nouveau dialecte avait succédé à celui du sud de la Loire encore plus bizarre et impénétrable.

Antoine ne soupçonnait aucunement une telle disparité linguistique.

C’eut pu être un voyage initiatique si l’état de faiblesse de certains marcheurs, n’avait pas été inquiétant.

Joseph son copain de Ferrières se traînait lamentablement, une fièvre récurrente et une toux persistante l’affaiblissaient considérablement.

Puis ce fut la délivrance, le 8 décembre 1812, Brest la maritime se montra à leurs yeux.

A la caserne siège de leur dépôt, les conscrits furent triés en fonction de leur taille, Antoine avec son mètre soixante quinze se retrouva au 3ème bataillon de grenadier, il fut avec regret séparé de ses compagnons.

Joseph Feutre mal en point fut admis à l’hôpital maritime de Brest, ils ne se revirent jamais car le compagnon de son enfance s’éteignit 8 jours après son admission.

Un grand nombre de jeunes mouraient dans cet hôpital, victimes de fièvre ou de fatigue.

Ces morts ainsi que les déserteurs obéraient les beaux chiffres du duc de Feltre ( Général Clarke,  ministre de la guerre )  qui s’exposait alors à de sévères mercuriales de la part du maitre .

Chacun se vit attribuer un uniforme, 2 paires de soulier, un fusil et un sabre briquet, une giberne , et une baïonnette. Un drôle de fourniment, heureusement les anciens sous la promesse de quelques tournées vous aidaient.

Quelques jours d’instruction militaire, les troupes sous la direction des officiers s’exercèrent aux déplacements en rangs serrés et  au maniement d’armes.

La nouvelle du départ arriva, direction l’Allemagne, miséricorde c’était  le bout du monde.

D’ailleurs les cadres du régiment étaient nerveux, des bribes de nouvelles arrivaient parcimonieusement. L’empereur serait à Paris et son armée fort mal en point.

La vérité fut cachée et Antoine et ses camarades ne connurent l’ampleur de la catastrophe qu’en remontant sur leur ville de destination. En effet en cette fin d’année 1812, la situation n’était guère à l’avantage des Français.

La grande armée cosmopolite de juin 1812 n’était plus maintenant que l’ombre d’elle même, 400000 hommes engloutis par le feu, les pluies, le froid, la faim, la maladie et les combats. L’artillerie était entièrement à refaire, et la cavalerie annihilée par la mort de milliers de chevaux, n’était qu’un fantôme de sa gloire passée.

Napoléon revenu en catastrophe après le passage de la Bérézina s’efforçait avec son génie coutumier de reconstituer une armée cohérente qui irait soutenir les résidus de la grande armée en Allemagne.

L’empereur à son départ avait laissé le commandement à son beau frère Murat, ce ne fut pas un bon choix, ce roi d’opérette entendait plutôt sauvegarder son royaume. Eugène le fils adoptif ou le beau fils se retrouva à la tête de ce commandement désespéré, il fit se qu’il put mais ayant toujours agit en sous ordre, la tâche le dépassa complètement.

Le prince d’Eckmuhl eut certainement prévalu.

Évidemment Antoine au fin fond de la Bretagne ne savait strictement rien de tout cela, comme chacun il avait le sentiment diffus que les choses ne tournaient plus très rond, cela s’arrêtait là.

En attendant il était fier de son fusil modèle 1777, conçu en son temps par l’ingénieur Gribeauval et de sa meurtrière baïonnette. Efficace mais un peu lourd quand on le portait plusieurs heures et a vrai dire assez encombrant par sa longueur.

Pour les exercices une sorte de tenue de travail était utilisée, il fallait économiser le bel uniforme. Chaque incorporé n’était pas encore muni de tous ses effets, la toile manquait, et les fusils aussi.

Le départ se fit, 1056 km, plusieurs mois de marche avec un barda de près de 30 kilos.

La musique en tête, encadré par des gendarmes à cheval, ( pour se prémunir des désertions en passant par l’indompté Bretagne ), le long convoi se mit en route, marche ou crève, sera le leitmotiv pour les semaines à venir.

Napoléon le stratège a gagné ses batailles avec les jambes de ses hommes.

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Les » Marie Louise » de  1813-1814, courageux et déterminés, mais surtout inexpérimentés

En attendant tout se délitait, les lignes de défense prévues par le génie corse reculaient, du Niémen à la Vistule, de la vistule à l’Oder, de l’oder à l’Elbe, puis de l’Elbe à la Saale. Les prussiens encouragés par la trahison de Yorck avaient déclaré la guerre, les saxons étaient peu sûrs et les hollandais se soulevaient sporadiquement. Le traitre Béarnais était passé dans le camps des Russes, la perfide Albion déversait son or et ses fusils et beau papa François dirigé par le maitre diplomate Metternich, retournait doucement sa veste. Les russes poussaient toujours plus loin leur avant garde et la seule apparition de quelques cosaques déclenchaient souvent une panique générale.

En bref un monde s’effondrait et Napoléon tentait d’arrêter le sable avec ses mains. Faisant flèches de tous bois, troupes de Marine, Gardes Nationaux, cadres de l’armée d’Espagne, conscrits des levées antérieures, tout était bon pour reconstruire son instrument guerrier.

Pendant ce temps Antoine Delavaud marchait en une longue colonne, les plus faibles avaient maintenant disparu, laissés dans les hôpitaux ou chez l’habitant. Lors des haltes un peu importantes des exercices étaient organisés, mais l’ensemble était encore loin d’être cohérent. Les mouvements d’ensembles étaient hésitants et personne n’avait encore fait de tir à la cible.

Le 15ème de ligne n’était évidement pas seul sur la route, plus on approchait, plus les masses humaines de chairs fraîches augmentaient. Des cavaliers, des trains d’artilleries, la Garde impériale, des caissons de munitions, des généraux empanachés avec leurs domestiques et leurs aides de camps, tous s’empressaient.

Puis enfin la délivrance, Mayence et le mythique fleuve frontière.

Petite ville de garnison et dépôt avancé cette dernière présentait un indescriptible désordre, des milliers d’hommes y arrivaient et en repartaient chaque jour. L’intendance avait du mal à suivre, encore et toujours des bons de logement. Mais comment loger une telle masse de soldats, Antoine et sa compagnie furent entassés dans une maison bourgeoise déjà surchargée. Ils se casèrent comme ils purent, puis se rendirent dans la ville pour y trouver pitance.

Une foule cosmopolite et bigarrée s’y trouvait, des uniformes de toutes les formes et de toutes les couleurs. Grenadiers, fusiliers, vélites, flanqueurs, cuirassiers, hussards, chasseurs, dragons, artilleurs, ouvriers, chirurgiens tous erraient dans les vieilles ruelles en quête d’une hypothétique bonne fortune. Toutes les couleurs  et la diversité des tissus faisaient penser à une ville orientale.  Antoine y entendait pour la première fois la langue chantante des Italiens, celle rude des Polonais, celle gutturale des Allemands et des Alsaciens. Il fut même surpris d’y entendre de l’espagnol et du russe. Autour de cette Babel gravitait un essaim de cantinières et de femmes de mauvaise vie. Antoine ne céda pas à la tentation et ne fut pas contaminé d’une chaude de pisse  comme bon nombre de ses copains. Il se délecta simplement d’un verre d’eau de vie qu’ici on appelait schnaps. Les maigres piécettes qui lui restaient , il les gardait précieusement comme un dernier viatique.

Mayence était une destination transit, il n’y resta guère et sut enfin sa destination finale.

Heureusement il n’avait guère de kilomètres à faire car son bataillon rejoignit  la ville d’Hanau ou se trouvait cantonné le corps d’armée qui allait désormais être le sien.

Antoine ignorait qui était le maréchal Marmont chef du 6ème corps, il savait seulement qu’il était duc de Raguse et un des proches de l’Empereur.

Constituée de 3 divisons d’infanterie et d’une de cavalerie, Antoine et son régiment échouèrent dans la 22ème ,commandée par le Baron Friedrich. En outre il aperçut pour la première fois le commandant de son régiment le colonel Levavasseur. Un corps de  60000 hommes réunit entre Hanau et Fulda et qui constituera avec d’autres l’armée du Main.

Cette fois la vie militaire se faisait  enfin sentir dans toute sa rigueur, plus de billets de logement mais un campement spartiate dans des tentes perçues à Mayence. La vie était dure, corvées, et exercices militaires se succédaient, Antoine tirait enfin à la cible.

Des mouvements en bataillons et en régiment furent organisés afin de familiariser les troupes aux déplacements de masse, vaste chorégraphie que ces passages de la colonne à la ligne ou de la ligne aux carrés. Répondant aux sons de la musique régimentaire et au code des fanions, chacun s’efforçait de s’intégrer dans cette masse qui le jour de la bataille serait l’ultime rempart.

Le magnifique Maréchal Auguste Frédéric Louis Viesse de Marmont duc de Raguse était même venu les passer en revue. Quelle fierté, il ne restait plus que le baptême du feu tant attendu

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