Loetitia
Elle a vu depuis peu se modifier les regards sur elle, est-ce que le jeune Henri s’est vanté et à laissé l’imagination des hommes du village voguer vers la possibilité d’une bonne aventure avec une pauvre veuve.
Elle le sait près à partir mais lui fera bien avouer son bavardage.
La foire d’Aigrefeuille se maintient pendant le conflit et reste un lieu de réunion.
Moins d’hommes jeunes évidement , mais encore une animation véritable. Des permissionnaires viennent se retremper dans l’ambiance en amenant des bêtes à vendre. Des soldats rentrés, nécessaires à leur exploitation ou des soldats ouvriers nécessaires à leurs usines viennent un peu rajeunir la vieille classe. Il y a aussi les adolescents qui croient sauter une catégorie en remplaçant les jeunes hommes. Cela forme un tout et Loetitia qui fend la foule toute de noir vêtue sent des regards qui la déshabillent. Lorsque le monde est plus pressé, elle ressent quelques mains qui subrepticement la touchent. Elle trouve cela déplaisant et hait ces cochons de mâles.
Même si quelques têtes ne lui sont pas inconnues, elle se sent étrangère au milieu de cette foule compacte. Tous ont des choses à vendre, tous ont des choses à dire.
Les hommes dont la plupart n’ont été que simples soldats jouent les stratèges d’états majors. Avec la majorité d’entre eux aux commandes nos armée camperaient déjà dans Berlin.
Les femmes sans doute frustrées d’hommes émettent des jugements de valeur sur l’ardeur combattante de nos poilus.
Les comparants à des mauvais amants, elles confondent la guerre et l’acte d’amour.
Loetitia fuit ces propos de café, ces propos de bonnes femmes, elle cherche un refuge parmi cette foule qui lui semble hostile.
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Madame Tirant, madame Tirant
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Je suis François Ferré vous me reconnaissez
Bien sûr qu’elle reconnaît l’homme qui se dresse devant elle.
C’est le mari de Marie Augustine Moinier, il est employé des douanes. Elle se souvient bien de lui et de leur petit garçon.
La conversation s’engage, elle évoque la mort de son mari dans un hôpital de Toul , lui s’inquiète pour la santé de sa femme qu’il a laissée à Bourcefranc.
La discussion se prolongeant, il l’invite à boire un sirop à une terrasse. Elle se demande si il n’y a pas de l’indécence à s’installer toute de noire vêtue à la terrasse d’un café avec un douanier en uniforme.
La conversation est soutenue, car François s’avère un fieffé bavard. Il roucoule d’une voix assez haute perchée. C’est drôle de voir un gaillard si bien bâti parler avec une voix de presque garçonnet. Il est plutôt bel homme même si une calvitie vient déséquilibrer cet ensemble harmonieux. Ses yeux sont ceux d’un chat roux et la blondeur de ses cheveux coupés courts celle d’une pièce de blé.
Ce babillage maladroit, comme la flûte du charmeur de rat de Hamelin envoûte Loetitia. Elle ne voit plus la foule en sabots et en sarraus, ni les femmes en coiffes, elle ne sent pu les remugles des bouses et du crottin de cheval, ni le piaillement des volatiles qui se sentent voués à une mort certaine.
Elle oublie ses problèmes, la terre d’Édouard, qui tel un malencontreux héritage lui fait passer des nuits blanches et des journées d’un labeur épuisant.
C’est presque innocemment qu’elle se surprend à lui prendre la main.
Marie Chauvin
Elle vient de recevoir l’ordre d’aller récupérer le chapeau de monsieur chez Émilienne, cela ne lui plaît guère, elle a bien assez à faire comme cela .
D’ailleurs, elle trouve cet oubli un peu bizarre car le maire qui n’a guère de cheveux sort toujours couvert.
Chez les Drouillon c’est un joyeux désordre, du linge partout, une vaisselle sale qui s’empile et une maitresse de maison un peu souillon. Il est vrai qu’elle n’a plus à plaire et dans cet état il n’y a aucun risque qu’elle retrouve un bonhomme.
René garçon de 12 ans n’est pas à l’école alors qu’il devrait certainement y être. Visiblement il règne en maître et joue l’homme de la maison. Des torgnoles et des coups de baguettes remettraient de l’ordre dans tout cela.
Au dessus du lit il y a la photo du grand couillon d’Alexandre en uniforme, elle ne risque pas de l’oublier son fada.
Il est bien fier sur cette photo prise à Surgères. Émilienne ne jure que par lui et le grand héros alors que tout le monde sait maintenant qu’il est mort chez les fous.
Marie n’ a d’ailleurs jamais aimé ce maréchal ferrant reconverti en forain itinérant, il avait toujours une expressions salace qui lui sortait de sa bouche de bonimenteur et la vulgarité chez la pieuse et dévote Marie est rédhibitoire.
L’accueil est glacial et le mutisme d’Émilienne est complet. La bonne qui n’est pas idiote se doute de quelques malhonnêtetés et tente d’interroger la veuve.
Rien ne vient mais Émilienne se dit que répandre un peu de fumier dans le jardin propret du bon samaritain de la mairie serait une bonne chose. Elle hésite pendant que la pipelette qui sent son ragot attend stoïque.
Mais un brin de moralité l’arrête, n’a t’ elle pas ouvert sa porte en tenue de nuit. Gougaud est un bien gros morceau, il tient une partie du village, beaucoup d’habitants sont en fermage avec lui et de plus il embauche pas mal d’ouvriers agricoles.
Non elle va lui rendre son chapeau et se taire.
Marie est déçue, mais cela ne fait rien elle inventera bien une histoire que chacune fera sienne.