
Mon exode 1940
Aujourd’hui, j’écris pour ne pas oublier. Tout est allé si vite, nous avons quitté Metz, notre maison, nos amis, notre vie.
Papa disait qu’il fallait partir, que les allemands arrivaient, Maman a fait les valises sans un mot, les yeux remplient de larmes. Jean voulait emporter ses billes, Colette sa poupée, moi j’ai pris ce carnet.
Le voyage a été long et difficile, entre les trains bondés et les routes envahies de familles comme la notre. Mais enfin, nous sommes arrivés au Gué d’Alleré, chez nos cousins Franck.
Ils nous ont accueillis avec chaleur, du lait chaud et des sourires. Je ne les connaissais pas bien, mais ils sont devenus comme une deuxième famille.
La maison est bien différente de celle de Metz, mais on s’y sent en sécurité, on apprend à vivre autrement, plus simplement.
Depuis peu je vais à l’école à Surgères, au début j’avais peur d’être mise à l’écart, mais les enfants m’ont bien accueillie, j’ai même une nouvelle amie Yvette. Elle m’a aidée à trouver ma place et m’attend chaque matin devant la grille. L’école est différente mais j’aime apprendre et les maitres sont gentils.
Je ne sais pas si nous retournerons à Metz un jour. Ici tout est nouveau, mais on est ensemble et c’est le plus important.
Départ du Gué d’Alleré 1942
Je croyais que nous étions enfin en sécurité au Gué d’Alleré, mais tout a changé. Ce matin papa nous a annoncé que nous devions partir, les autorités allemandes obligent les familles comme les nôtres à quitter la zone côtière, nous n’avons pas le choix , même si tout allait bien ici.
Les soldats sont venus chez nous, ils ont fouillé la maison sans gène. Ils ont pris de l’argent que Papa cachait, les bijoux de Maman et même notre voiture. Colette a pleuré en voyant les Allemands emporter nos affaires.
Je ne comprends pas pourquoi cet acharnement sur les Juifs. Nous ne leur avons rien fait. Nous avions trouvé une nouvelle vie ici, des amis , une routine. Maintenant il nous faut tout recommencer ailleurs, une encore une fois. Je suis triste mais Papa dit qu’il faut rester courageux
Coulon (département des deux sèvres ) 1942 – 1943
Nous avons quitté le Gué d’Alleré pour nous installer à Coulon, le voyage a été triste, comme un arrachement. Ici la vie est différente, plus discrète, presque cachée, on essaie de ne pas attirer l’attention.
Je vais maintenant à l’école à Niort, nous avons de faux papiers. Des gens ont pris des risques pour nous aider et Papa dit que nous leur devons beaucoup.
Je fais attention à tout, je parle peu, dans mes affaires Maman a cousu une étoile jaune cachée au cas où il y aurait un contrôle et que je doive la montrer rapidement.
A Coulon on vit comme si nous étions invisibles,ce n’est pas très facile , mais nous n’avons pas le choix, je rêve de jours meilleurs, sans peur et sans cachette.
Le tournant 1943 -1944
Ce matin tout a basculé, les soldats sont arrivés sans prévenir, ils ont rassemblé tout le monde.
Papa était trop malade pour bouger, maman enceinte a été emmenée à l’hôpital avec lui, nous les enfants avons été cachés à l’école par une maitresse courageuse.
Je suis restée là blottie contre Jean et Colette, sans oser bouger, priant pour qu’on ne nous trouve pas.
J’avais si peur, car j’avais la responsabilité des papiers d’identités de toute la famille.Je voulais rejoindre Papa et Maman mais on m’a dit de rester cachée, de protéger mes frères et sœurs.
Plus tard un camion est venu, on nous a poussés dedans sans explication. Je ne sais pas où nous allions. Tout ce que je sais, c’est que nous sommes seuls sans nos parents.
J’ai promis à Jean et à Colette que je veillerais sur eux, quoi qu’il arrive.
La ferme 1944
Cela fait des mois que nous vivons à Melle ( deux sèvres ), cachés dans une ferme avec Jean et Colette. La vie est dure, sans école, sans repère. Nous travaillons aux champs avec les réfractaires du STO ( service travail obligatoire ), ces jeunes courageux qui refusent de partir en Allemagne. Ils nous traitent comme leurs petits frères et sœurs;
Papa est mort en septembre dernier à l’hôpital. Maman est restée à l’hôpital trop faible pour nous rejoindre, ils nous manquent tellement.
Mais ici à la ferme nous avons survécu grâce à l’entraide et aujourd’hui la nouvelle est arrivée , la » LIBÉRATION «
Les allemands sont partis, les cloches sonnent dans tout le village. Les gens pleurent, chantent, s’embrassent. Jean , Colette et moi nous avons couru sur la place, même si notre cœur est encore lourd.
Je sais que rien ne sera plus comme avant, mais au moins nous sommes libres et pour la première fois depuis longtemps , j’ose espérer de nouveau.