LA BAILLETTE DU GUÉ D’ALLERÉ, Épisode 2

 

Sur le premier banc se tenait stoïque le maire du village monsieur Boutet François, habillé avec élégance, tranchant par ses habits avec les majorités des habitants du village pourtant revêtus de leurs plus beaux atours.

Cet édile en place depuis le mois de septembre 1800 faisait assez vieille France et on aurait pu l’imaginer en bas de soie comme sous l’ancien régime.

Les maires des villes de moins de 5000 habitants étaient nommés par le préfet, celle au dessus par l’empereur lui même.

Maintenant propriétaire, il avait été magistrat et plus précisément président du siège des traites de La Rochelle. Son père mort à Saint Sauveur du Nuaillé avait été en son temps conseiller du roi et receveur de la chancellerie de la Rochelle.

Famille puissante liée à la famille de l’ancien député et procureur impérial Charles Agier et aux anciennes familles qui possédaient les terres du Gué et ses environs, les De la Porte, les Gasq et les Poirel

Nommé par le préfet, François Boutet administrait avec bonheur la commune et exerçait sur cette dernière un pouvoir absolu comme l’y autorisait la loi.

L’écart de sa fortune et de sa condition avec les paysans de sa commune ont fait qu’il était craint et respecté. Mais en bon propriétaire terrien, il connaissait toutes les familles par le menu et chacun par son nom. Toujours présent en cas de difficultés, le maire était aimé de ses administrés.

La messe terminée, la vente du sixième banc en entrant à gauche peut commencer, c’est une formalité seuls Jean Gaquignolle et Jean Petit sont sur les rangs, les fabriciens le décident, ce banc de piété leur est attribué pendant toute leur vie durant. La somme est de quarante deux francs et les deux hommes verseront en plus un loyer de deux francs tous les ans, payable aux fêtes de Pâques. Le marguiller et le receveur perçoivent la somme au nom de la fabrique.

La fabrique est un instrument d’administration au service du culte, elle est responsable de la gestion des biens matériels et des revenus de la paroisse. Elle sert aussi de liaison avec les autorités civiles locales, le maire, le conseil municipal, les œuvres de bienfaisances. Il est aussi en rapport avec les autorités du culte et les autorités préfectorales.

Le conseil de fabrique est composé du curé , du maire ainsi que de cinq membres cooptés. En général le conseil se réunit quatre fois par an.

Trois laïc ( non religieux ) sont élus au bureau des marguilliers, un président , un secrétaire et un trésorier. Ce bureau se réunit tous les mois et gère le budget.

Les membre de la fabrique sont recrutés parmi les plus imposés de la paroisse, se sont donc en général des notables où pour le moins des paysans ou artisans aisés.

La fabrique se doit d’ être en bon terme avec la commune car cette dernière doit suppléer aux dépenses que la fabrique ne peut assumer seule.

Les fabriques tirent leur revenu des quêtes, de la location des bancs et chaises et des pompes funèbres et éventuellement des terres que la paroisse possède.

On nomme marguillier un membre du conseil de fabrique.

En cette année 1804 c’est André Roch Petit qui reçoit dans ses mains l’argent de Jean Gaquignolle.

C’est un tonnelier opulent qui possède de nombreuses vignes et qui est entré dans le monde du négoce d’eau de vie. Il est âgé de quarante ans, sûr de sa force et de son importance il en impose et parle fort. Marié à une fille du pays, il se désespère de n’avoir à ce jour que des filles.

En ce moment le président de la fabrique est Jean Raimond, lui aussi est un enfant du pays âgé de quarante deux ans il est cultivateur , propriétaire et négociant. En ce pays couvert de vignes, les négociants en eau de vie sont les nouveaux rois, ils construisent en pierre de vastes demeures, aérées, ouvertes, couvertes de tuiles.  Elles contrastent avec les méchantes maisons aux rares fenêtres et aux toits encore largement en chaume des paysans.

La petitesse des parcelles de vigne ne permet que rarement l’enrichissement.

Jeanne Néraudeau sa femme?en l’attendant pérore comme une dame sur le seuil de l’église, elle répond au salut comme si elle était propriétaire du château. Chacun la déteste de la voir péter plus haut que son cul, mais elle est la femme de celui qui rachète les récoltes, alors, chapeaux bas et mines respectueuses.

Les membres du conseil sortent enfin, Jean Gaquignolle et Jean Petit sont fiers, le bail qu’ils viennent de signer est un contrat qui marque leur entrée dans la communauté des gens qui ont des biens. Ils ne sont plus des traines misères aux joues creuses, ce banc assoit leur notoriété. Bien sûr ils ne ne sont pas riches et ne seront pas reçus chez monsieur le Maire ni chez les négociants. Ils devront continuer à se tuer au labeur pour chaque jour arracher le sang de la vigne.

Les deux familles sont fières d’accéder à cet attribut de richesse . Ils ont leur place juste derrière les nantis. Si les hommes sont ainsi plein d’orgueil, les femmes tout en appréciant la matérialité du fait ne s’en rapproche pas moins du seigneur en avançant vers l’autel.

La vanité humaine se conjuguant ainsi avec la piété, alliant le matériel à l’immatériel .

Quarante deux francs représente quand même quelques journées de travail, la vieille Marie Favreau peut-être fier de son fils.

D’ailleurs la longévité de l’existence de Jean Gaquignolle fit que l’affaire fut excellente pour la famille et un peu moins pour la fabrique, car ce dernier s’éteignit au Gué d’Alleré le onze juin 1870 .

Jean Raimond lui mourut en 1852 , âgé de 80 ans et le maire François Boutet resta en charge de la commune jusqu’à son décès à 80 ans en 1827.

André Roch Petit décéda un peu plus tôt en son domicile du Gué d’Alleré le 29 juillet 1816, il avait 53 ans.

La jolie baillette du gué d’Alleré possède un joli cachet de cire rouge aux marques de la commune et un tampon république française qui couta à Jean Gaquignolle la somme de 25 centimes de franc.

Nota : Si je parle peu de Jean Petit c’est qu’il existe un doute sur son identité réelle, car en effet à cette époque trois Jean Petit ayant le même âge ,vivaient sur la commune, en l’absence de signature je n’ai pu départager.

La commune du Gué d’Alleré à la chance de posséder deux baillettes dans ses archives, petit trésor communal dont je me devais de conter la brève histoire.

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