On vécut sur une sorte de nuage, la vie était douce lorsque l’on aimait. Je travaillais, ma femme aussi, la surface que je mettais en semence et les quelques pieds de vigne que j’avais nous procuraient une chétive pitance. Derrière la maison un jardin jalousement labouré par Marie nous apportait des légumes, nous avions aussi quelques vaches et bien sur deux magnifiques bœufs pour mes attelages.
Ma mère aidait bien sur au ménage, mais sa santé parfois vacillait et son apport nous faisait défaut.
Nous n’étions pas dans le besoin, mais loin de la richesse ni d’une quelconque aisance. Nous vivions presque en autarcie avec la ferme de François Bourru mon beau frère. Mais comme tous nous n’étions pas loin d’un malheur éventuel. Qu’une maladie, qu’un accident vous fassent perdre votre force de travail et vous basculiez dans l’indigence, la pauvreté voir même la mendicité, nous n’avions aucune réserve numéraire.
Le roi de Paris qu’on nommait Louis Philippe se foutait bien de nos problèmes agraires et frumentaires. Même si le village était moins isolé que d’autres par le passage de la voie royale qui menait à Paris il restait tout de même replié sur lui même.
L’équilibre financier de mon ménage n’était guère assuré car en plus de ma mère il m’échut la subsistance de la mère de ma femme. Cette dernière journalière gagnait à peine de quoi payer son loyer et n’être pas jetée dehors. Marie faisait mon siège pour qu’on la prenne avec nous. Nom de Dieu quelle vie aurions nous eu entourés des deux vieilles.
Marie pourtant jeune ne me donna pas d’enfant tout de suite, son ventre était désespérément plat, ma mère me disait mais bougre de couillon tu sais donc pas faire.
Elle se prenait de bec avec Marie et méchamment lui reprochait d’être sèche comme une planche de cercueil.
Nous y mettions pourtant du cœur à l’ouvrage, malgré la fatigue de la journée nous le faisions tous les soirs. Sauf évidemment les jours ou l’église avait décidé que c’était un péché. Ma religion était affaire de bonnes femmes et de bonhommes sans femme. Vous pensiez bien que je n’allais pas m’endormir comme une buche pendant le carême, l’avent, les vendredi, Pâques, les Rameaux, l’ascension et l’abstention, il ne fallait quand même pas exagéré.
Maintenant avoir un enfant, voyez vous j’y mettais une affaire de fierté, un homme sans enfants sans descendance n’était pas vraiment un homme.
Mais un jour que je semais sur l’une de mes pièces en compagnie de François mon beau frère, je vis accourir ma femme, elle était comme une folle. J’ai cru qu’il était arrivé malheur à ma mère, mais non elle m’annonça qu’elle portait, c’était sur, plus de menstrues et une visite chez la matrone. Je l’ai bisée comme du bon pain, je l’ai soulevée, fait tourner, j’ai même embrassé son ventre. Jamais ensuite les semailles furent faites si rapidement. Il fallait que tout le monde le sache, François Petit était un vrai mâle virile, un de ceux qui procréait, il atteignait enfin une vraie dimension de respectabilité.
Ce soir là je bus un grand nombre de coups, toujours il arrivait un copain, un ami pour trinquer à mon futur drôle.
Je ne sais si c’est moi qui ai ramené le beau frère ou le contraire. Marie, Anne et ma mère nous attendaient mais devant notre réelle gaité, elles rirent avec nous et nous couchèrent tout habillés.
Marie porta bien son petit, je la trouvais très belle, la maternité lui donnait un charme extraordinaire. Sa poitrine devint vraiment opulente et je ne demandais qu’à y boire, seulement voilà Marie avait décidé que tout rapprochement physique nuirait au bébé alors je dus regarder ma déesse de la fécondité comme on regarde la vierge Marie à l’église.
J’ai bien tenté quelques fois mais son seul regard de tueuse m’arrêta, le matin ma mère me gratifiait d’un » tu vas bien lui foutre la paix » comme si elle avait assisté à la scène. Je ne pouvais lutter, mais le temps me paraissait long.
Le neuf octobre 1840, alors que nous étions en pleine vendanges, Marie perdit les eaux, il convenait de faire vite si on ne voulait pas qu’elle accouche entre deux ceps de vigne. On la porta sur la charrette et on fit retour à la maison. Mais le garnement tarda, la sage femme commençait à s’inquiéter et l’on alla réveiller Monsieur Junin le vieux chirurgien de la grande armée .Marie aurait préféré qu’aucun homme n’intervienne car elle n’aimait guère se montrer en cette position.
Le praticien expert à l’aide de pince nous le sortit sans nous l’abimer à quatre heures du matin, mon fils était beau et costaud et la mère ma foi apaisée et heureuse s’endormit d’épuisement.
J’offris le casse croute et la blanche et avec mes beaux frères et le chirurgien on trinqua au petit que j’allais nommer François Alfred.
Les femmes s’affairaient sur la septième merveille du monde.
J’ai déclaré mon fils à neuf heures du matin et ce fut Baptiste Luneau le frère de ma femme qui me servit de témoin.
Le maire Louis Raimond nous vit sur les marche et nous dit, alors un mort ou une naissance. Pour cette fois ce fut une bonne nouvelle et l’on repartit finir la cueillette de notre raisin. Car cela aussi était primordial, notre économie ménagère reposait sur cette source de revenus.
J’étais maintenant comblé dans mes instincts de mâle dominant, une jeune femme dont je pouvais disposer à peu près comme je voulais, un héritier et quelques terres pour pouvoir les nourrir décemment.
Je me considérais comme heureux, d’un bonheur simple, la vie s’écoulait comme une douce rivière, serpentant en ses nombreux méandres. Je n’avais pas besoin de fleuve en crue pour me satisfaire.
A l’ombre des douze moulins du village, le temps passa et comme j’étais assidu en la couche de mon épouse que j’aimais son corps dodu et ses effluves voluptueuses ma tendre fertile fut bientôt prête à me donner un nouvel enfant.