Fernand en cet après midi du samedi 1 août 1914 se trouve sur le terrain de foot , derrière la mairie de Nangis. Les joueurs viennent de terminer un match quand ils entendent sonner le tocsin .
Chacun s’interroge, en se précipitant vers la maison communale. Sur l’un des murs, un gendarme contemple l’affiche qu’il vient de coller.
– Lisez ça les jeunes cela vous concerne.
Un ordre de mobilisation générale s’affiche sous leurs yeux.
– Nom de dieu, pour le 2 août, mais c’est demain !!!
– Ils ont enfin leur guerre .
– On va leur foutre une raclée et reprendre l’Alsace et la Lorraine clame un jeune footballeur
– Quoi qu’on en a faire des alsacos, dit Fernand.
– Faut qu’on se venge de 70, ça va pas durer longtemps, en septembre on sera de retour.
La foule est maintenant dense autour du papier annonciateur de la catastrophe, chacun extériorise différemment, les femmes pleurent, les vieux se rappellent la raclée de 1870, les jeunes braillent et gueulent » à Berlin »
La soirée en famille est triste, Fernand part demain, il doit se rendre au fort de la Brèche à Saint Denis, lieu de son rassemblement, tous les hommes en âge d’être mobilisés prennent la route, cela fait du monde, mais il n’y a pas trop de désordre, organisation et bonne volonté font que la mobilisation qui avait été loupée en 1870 est en 1914 une pleine réussite.
Fernand est incorporé dans le 11ème bataillon de réservistes des Zouaves. Les soldats se reconnaissent et se congratulent.
– Alors Trameau, déjà de retour, lui fit un sergent.
– Ba oui à peine 4 mois que j’étais en Tunisie et me v’la à nouveau.
– T’inquiète pas ça va pas être long.
A force d’entendre que la guerre ne serait pas longue, Fernand se met à aboyer aux loups comme les autres.
Prise du paquetage, exercices, manœuvres, les journées passent rapidement.
Il fait maintenant partie du 1er régiment de marche des Zouaves constitué du 11ème bataillon de réservistes, du 5ème de Saint Denis et du 4ème d’Alger, le patron est le Lieutenant colonel Heude.
Le 11 août les clairons sonnent le réveil de bonne heure, un casse croûte rapide et les troupes s’alignent pour attendre le Général qui va les passer en revue.
– J’te parie qu’on va poireauter un moment marmonne Daniel
– Comment qui s’appelle le galonné ?
– Schwartz
– tu parles d’un nom, c’est boche.
– Ferme la on va avoir des emmerdes.
Le général à la belle prestance les avertit d’un départ imminent , vive la France et mort aux boches.
Le lendemain à l’aube le régiment se met en route, embarquement à la gare de Bercy, la foule est dense sur leur passage, les femmes leurs jettent des fleurs et les embrassent, les hommes plus réservés hochent la tête en guise de salut.
C’est la fleur au fusil et remontés comme des pendules que les Zouaves s’entassent dans le train.
Les hommes et le matériel débarquent à Anor près de la frontière Belge, après de longues heures vautrés dans un confort sommaire, ils ont le désagrément de se voir former en colonne pour rejoindre leur cantonnement, la formalité va durer 4 heures.
– j’ai les panards en compote.
– Tu crois qu’on va directement en Bocherie Fernand.
– J’en sais rien mais le premier frisé que j’attrape je lui fais bouffer ses godasses.
Le premier cantonnement en Belgique se fait à Chimay, l’ensemble de la 75ème brigade est réuni dès le 15 août et est constitué par le 9ème tirailleur et le 1er de Zouave.
Le lendemain la promenade continue, direction Cerfontaine, évidement la troupe ignore tout de la finalité des déplacements. On suppute qu’on se rapproche des Allemands et les commentaires vont bon train.
On établit un bivouac, Fernand retire ses godillots.
– J’ai les arpions en sang, pourtant j’ai l’habitude.
– T’as pas fini mon pov, on va leur botter l’ cul jusqu’à Berlin
– Ouais p’être mais là on a fait 4 heures de balade et j’en ai marre.
La tenue des soldats n’est plus très fraîche, Fernand a même accroché son sarouel dans une haie d’épineux. Leur tenue exotique faite pour les fortes températures d’Afrique est un avantage pour l’instant. De plus la population dans les villes et villages que l’on traverse fait preuve d’un enthousiasme démonstratif à l’égard de cette troupe colorée.
Mais la ligne de front se rapproche, le 17 août Fernand et ses copains se déplacent sur Froid chapelle et constituent l’avant garde de la 38ème division, il n’y a que 7 kms ce n’est rien et à 10 h du matin le cantonnement est établi. Fernand se retrouve de garde une partie de la journée, faut avoir l’œil car des Uhlans tâtent les lignes Françaises.
Le lendemain rebelote, la division fait un bond de 8 kms sur Erpion . Le 19 août c’est une belle pagaille quand la 3ème armée passe devant la 38ème division, le cantonnement se fait à Pry, avec seulement un déplacement de 11 kms.
Comme au temps jadis les généraux pensent que la guerre va se gagner avec les jambes des fantassins.
La division se pose jusqu’au 21 août, évidement l’adjudant fait du zèle en exigeant une revue de paquetage et d’uniforme.
– On peut pas se reposer et rien foutre
– T’as raison y’en a toujours un pour nous faire chier.
– Vivement qu’on retourne à la maison
– T’as une petite Fernand ?
– Ouais elle s’appelle Fernande
– Tu l’as déjà lutiné ? Lui demande un comparse.
– vOccupe toi d’ tes fesses
– Le juteux interrompt la discussion et met la compagnie en ligne, dans le lointain on entend la canonnade.
Le branle bas de combat arrive le soir même vers 23 heures, à 3 heures du matin la brigade au complet se trouve au sud de Gerpienne. Chacun ressent confusément qu’il va se passer quelque chose.
Des postes sont établis en avant de la gare et au ruisseau de Gerpienne, l’excitation compense le manque de sommeil, vers 8 h 30 la troupe se porte en avant vers Villers poterie et la Figoterie.
Fernand qui a les oreilles qui trainent, entend qu’ils vont contre attaquer sur le Chatelet ( Charleroi ) pour dégager la 5ème division, il prévient sa compagnie.
L’attaque commence vers 10 heures avec comme objectif la lisière nord du bois dit du Chatelet. Au sifflet les braves se jettent en avant, courage et inconscience se mêlent pour mener la furia Française vers la position Teutonne .
– En avant, droit devant
– Hourra ! Hourra ! Mon brave régiment, Fernand hurle à tue- tête pour se donner du courage.
L’élan est irrésistible, les chacals avancent, mais les hommes tombent, la tranchée ennemie se rapproche, la ligne s’éclaircit, les officiers hurlent des ordres, le bruit couvre leurs imprécations.
Les mitrailleuses allemandes commencent à faire merveille, les corps d’échiquetés s’affaissent, les troupes commencent à flotter, les pertes sont énormes. Les hommes vaillamment s’avancent à la mort. Mais la panique prend le dessus sur la témérité, les zouaves et les tirailleurs, élites des armées sont contraints à se replier en désordre.
Les coloniaux retraitent sur Tys sur Bauduin, la brigade a reculé de 6 kms . Le général Schwartz tente de remettre de l’ordre. Heureusement les allemands surpris par leur succès ne poursuivent pas les fuyards.
– Nom de dieu de nom de dieu y’a pas idée de nous envoyer au casse pipe comme cela
– On est manœuvré par des bons à rien dit Fernand.
– Des assassins, que j’te dis grommelle Daniel.
– En ligne avec nos costumes blancs et rouges qui nous ont envoyé à la mort grince Gaston.
– Fermez vos grandes gueules hurle un pitaine, ou je vous fous un coup de revolver.
Les hommes se taisent, mais ils ont raison, une attaque de tranchée sans préparation d’artillerie est suicidaire. Les troupes Françaises inaugurent la guerre moderne avec des méthodes, que n’aurait pas renié Napoléon. Mais le changement de tactique n’est pas pour le moment d’actualité, la fine fleur de la jeunesse Française a encore le temps d’être moissonné avant que les stratèges des GQG et les politiciens ne comprennent l’inanité de leurs plans.
Le baptême du feu de la 75ème brigade est tragique, le 9ème tirailleur est décimé et le 1er zouave bien éprouvé.
La retraite va maintenant se poursuivre la bataille des frontières est perdus.
Fernand et ses camarades de galère ne pensent qu’ à la revanche, la haine qu’ils éprouvent contre l’ennemie sue par tout leurs pores.
Commence maintenant, une dure retraite, qui conduira nos soldats de la Belgique à la Marne.