Par ce premier article, je commence une série que j’ai nommée »au détours des actes ». Une multitude de faits intéressants sont cachés dans nos vieux grimoires . Dans les registres paroissiaux d’un petit village de Seine et Marne ou vivaient trois de mes ancêtres à la 6 ème génération, j’ai découvert qu’un curé y tenait une sorte de journal ou il relatait les faits marquants de sa paroisse. L’un de ceux ci m’a interpellé et j’ai effectué quelques petites recherches que je vais vous narrer.
En 1763 un nouveau curé se présente à la cure du village de Courtacon, il vient remplacer le père Jacques BOUFLERS, 63 ans décédé d’une longue maladie à la fin de l’année 1762.
Le curé MERCIER qui signe son premier acte le 27 février 1763 officiera jusqu’à la révolution française. A partir de 1770 il se décida à consigner des informations sur sa petite commune, travaux communaux, considérations météorologiques, état des récoltes et prix des denrée agricoles.
Courtaçon est un village agricole de la Brie à proximité de Provins et de Villiers Saint Georges, la terre est riche et grasse mais les récoltes sont soumises en ces temps aux fluctuations capricieuses du ciel. Le village est traversé par un petit cours d’eau nommé Aubetin, ce dernier ne paye pas de mine mais lors de fortes pluie il sert de déversoir aux eaux pluviales de la région et a tendance à sortir de son lit.
A la fin de l’année 1783, notre curé nota :
» Dans cette année 1783 nous avons eu un brouillard ou fumée si épaisse que le soleil paraissoit toujours éclipsé. Depuis le dix du mois de mai jusqu’à la fin juillet ce qu’aucun ancien ne se souvenoit d’avoir vu.
Les chaleurs pendant tous ce tems ont été excessives et l’on attribuçasse à ces brouillards, chaleurs, la multitude de fièvres qui sont venues dans les mois suivants d’aoust, septembre et octobre dont il est mort beaucoup de monde, trois cent grands corps sont morts dans la ville de Provins. Peu de personnes ont été exemptés de fièvres dans la campagne comme dans les villes, dans ma paroisse de deux cent dix sept âmes nous n’avons été que vingt neuf qui n’ont pas été attaqués encore j’en ai eu deux accès, cependant il n’est mort dans ma paroisse que quatre personnes tant grands que petits des suites de ces fièvres.
La récolte du bled a été médiocre et est monté jusqu’à 50 sols le boisseau*.
La récoltes d’avoines a été très mince et les avoines étaient partout remplis de vesses, elle fut vendue jusqu’à 28 sols le boisseau.
Le foin a été rare et s’est vendu jusqu à 50 francs le cent.
Il y a eu des fruits assez passablement, le vin est bon pour l’année qui a été commune et se vend » 60 » à Vindey* et Cesanne* et 48 francs à Chalautre* et villenauxe* »
Le curé Mercier, Pierre Viennot*, Antoine Torpier*, Denise Prieur et les quelques 210 habitants du lieu surent- ils que le phénomène auquel ils assistèrent était exceptionnel, qu’ils seraient spectateurs d’une catastrophe mondiale dont les conséquences se feront sentir pendant des années et qui indirectement seraient la cause d’un bouleversement politique et sociétal dans le royaume de France. On peut certes douter qu’ils eurent une telle perception, mais qu’ils s’inquiétèrent surtout de leur récolte.
Interrogeons nous maintenant sur le phénomène: qui a perturbé Mercier et ses paroissiens ?
LAKI ( ISLANDE )
8 juin 1783
En ce jour de juin, une formidable explosion se produisit en Islande, le volcan Laki explosa et provoqua une gigantesque faille de 30 kilomètres de long. 110 volcans entrèrent en irruption.
La plus grande catastrophe naturelle des temps historiques commençait, pendant 8 mois une quantité infinitésimale de lave, de cendre et de gaz sulfurés furent projetés à l’extérieur des foyers incandescents. La cendre propulsée jusqu’à 1400 mètres recouvrit le pays sur des milliers de kilomètres carrés.
Les poussières et les gaz plongèrent l’Islande dans une presque obscurité. L’île perdit 20% de sa population par une effroyable famine , ainsi que 80% de son cheptel,et une grande partie de sa faune sauvage.
Les gaz sulfurés emportés par le vent recouvrirent la majeure partie de l’Europe. Un anticyclone puissant bloqua tout l’été les émissions nocives. Le brouillard sulfureux et les fortes chaleurs provoquèrent des milliers de morts en 1783. Le nuage de poussière se déposa sur le sol, occasionnant des dégâts aux cultures. On l ‘a vu dans le texte du curé la catastrophe fit 100 morts à Provins et 4 à Courtacon. La majorité du village fut touchée par des fièvres, les symptômes en furent : un pouls élevé, des maladies de peau et de l’épiderme. Le brouillard sec et la chaleur occasionnèrent une pollution des eaux qui se matérialisa par des problèmes intestinaux.
Cette irruption volcanique déclencha donc des perturbations météorologiques qui perdurèrent pendant plusieurs années , sécheresses, froids intenses, fortes pluies, et accentuation du petit age glacière.
Cela occasionna par conséquent des mauvaises récoltes, des famines s’en suivirent . Une montée des mécontentements se fit menaçante en France.
L’année 1784 fut particulièrement effroyable.
L’irruption du LAKI participa par les désordres qu’elle engendra à augmenter la grogne des Français, qui se matérialisa par la grande œuvre que fut la révolution Française.
Le curé Mercier remplit soigneusement son registre paroissial jusqu’en 1792, fut- il jureur ou non jureur ? Je ne le sais point mais en tout cas le Laki lui fit perdre ses registres.
NOTE : Boisseau*, unité de mesure des grains correspondait à 12,67 litres en région Parisienne
Vesce*, plante herbacée
Vindey*, petit village de la Marne
Cezanne*, ou Sezanne, ville de la Marne
Chalautre*, la grande, ville de la Marne
Villenauxe*, ville de la Marne
Ces 4 villes sont dans le territoire de la Brie champenoise et devaient être le siège d’une foire
Pierre Viennot* vécut 53 ans à Courtacon et mourut en 1787, il est mon ancêtre à la 7 ème génération
Antoine Torpier*se maria à Courtacon et y vivait lors de la catastrophe, il est mon ancêtre à la 6 ème génération
Denise Prieur vécut à Courtacon et y mourut sous le consulat elle est mon ancêtre à la 6 ème génération
Le Laki* ou plutôt Lakagígar en Islandais signifie « les cratères de Laki » est un volcan d’Islande constitué de pas moins de 130 cratères sur une longueur de 25 kilomètres environ, situé dans le Sud de l’île entre les glaciers Mýrdalsjökull et Vatnajökull.
Documents et sites consultés :
Le texte du curé Mercier se trouve dans les registres en ligne de Seine et Marne à la page 73 sur 193 année 1767-1793
blog les hommes libres : Article particulièrement intéressant sur le LAKI avec une vidéo passionnante
Histclim : histoire du climat
Très intéressant. Amateur de généalogie, j’étais tombé par hasard sur les résumés du curé de Courtacon sans faire le rapprochement avec le Laki jusqu’à voir une émission de télé qui en parlait. Ce qui est surprenant c’est que, comme d’autres curés (Eure et Loir notamment), il situe les phénomènes en mai alors que l’irruption a eu lieu le 8 juin. C’est sans doute à cause du décalage entre les événements et la rédaction des registres en fin d’année.
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