CONFIDENCE DE VILLAGE, LES FILLES AU GARS MOINET, PARTIE 2

 

Les Moinet n’avaient plus de larmes et les veilleurs autour de Marie Anne sombraient peu à peu dans le sommeil. Seul le bruit de sussions de la petite bouche d’Anne sur les tétons de sa mère trouait le silence oppressant de la veillée funèbre.

D’un seul coup les chandelles, qui menaient jusque là une danse carnavalesque, cessèrent de délivrer leur pâle lueur.

Une nuit de caveau, un froid de tombe car le feu aussi se mourait et un petit cri, comme un appel à l’aide, comme un feulement de chaton, comme un faible bruissement de vent.

La peur gagna Jean Moinet et sa femme Marie Anne Rouhault, il raviva rapidement les mortes chandelles puis se précipita vers la couche de Marie Madeleine.

Rien, plus rien n’émanait de la petite de quatre ans, aucun souffle perceptible, aucune brillance dans ses yeux grands ouverts. Marie Anne en hurlant s’effondra, Jean que bientôt tout le monde entoura,portait en ses bras sa deuxième fille. Ses petits pieds, mignons pendaient en dehors des draps, chaude comme une caille elle paraissait pourtant bien vivante. Les femmes s’en emparèrent et bien vite se résignèrent. Marie Anne assise se balançant sur elle même émettait une mélopée venue des enfers. Cruelle maladie, contagion, morts en série, dureté des temps, châtiment pour la mort du bon roi, chacun avait son idée. Personne pourtant n’osa rester de peur de contracter une réelle saloperie.

Le jour était maintenant là, le visage de Marie Anne s’altérait doucement et déjà n’avait plus la beauté des premiers temps, sûrement il ne faudrait pas traîner à l’ensevelissement. Jean devait signaler le deuxième drame mais n’osait laisser sa femme toute seule. Heureusement, de nouveau, les femmes du voisinage revinrent, la compassion avait gagné sur la peur.

Jean Hillaireau, avant l’arrivée de Jean Moinet, savait déjà qu’un nouveau drame avait frappé le village. La nouvelle avait couru et chacun s’inquiétait pour les siens.

Réticent, il dut pourtant faire son devoir et se rendre au foyer du malheur pour constater.

Le tableau était sensiblement le même que la veille, mais la maman accablée par le malheur gisait épuisée derrière les rideaux de l’alcôve familiale. La petite avait été allongée avec sa sœur et la blancheur de leur chemise contrastait avec le bois brun ciré de leur dernière couche. Mains croisées sur le devant où l’on apercevait les petites perles de leur chapelet, elle souriait du même rictus. Le père avait fermé les yeux de la plus petite mais ceux de la plus grande s’obstinaient à se rouvrir.

Jean arriva en même temps qu’un curé dont il ne connaissait pas le nom, les temps n’étaient pas à la religion mais la grande superstition persistait encore et même si le culte était suspendu, tous croyaient en la nécessitée d’une présence cléricale.

L’officier public salua avec déférence le prêtre puis s’approcha de la couche mortuaire. Pas de doute, l’ombre de la mort était là, l’on voila le petit miroir, l’on jeta l’eau et l’on brûla encore des chandelles.

L’inhumation aurait lieu le soir, l’on ne parlait pas encore d’épidémie, mais mieux valait ne pas prendre de risque.

Le soir, le triste cortège partit de la maison Moinet, les deux petites serrées dans un linceul avaitent été pieusement déposées dans la carriole. La mule qui tirait le fardeau, sage et obéissante fit son ouvrage pour le mieux. Les connaissances suivirent le convoi jusqu’au cimetière, tous sur le pas de leur porte saluaient ou mettaient chapeau bas. Les habitants du village connaissaient le prix de l’existence, le prix de la vie et en lançant quelques poignées de terre sur les masses blanches du fond du trou elles enterraient un peu l’un des leurs.

L’on compatit, l’on aida le couple, la solidarité n’était pas veine et chacun pria pour que ces tristes morts ne deviennent pas une triste série.

La Moinet comme on l’appelait dans le village était dévastée, ses deux puces qui égaillaient son foyer n’étaient plus et la vision de la couche où elles étaient mortes lui laissait une entière impression de viduité. Jean par nécessité domestique s’éloignait de la maison et se noyait dans le travail. Lorsqu’il rentrait son silence de taiseux accentuait l’absence du babillage des fillettes défuntes.

Mais il était écrit que le malheur ne s’en irait pas de si tôt, Anne le petiote se mit soudainement à refuser le sein, elle qui pourtant était une goulue avérée rejeta le lait nourricier. Marie Anne ne s’inquiéta guère, il pouvait arriver que le lait maternel s’aigrisse un peu. Elle décida de lui donner un peu de lait de leur vache. Rien n’y fit et le bébé commença à dépérir, la fièvre s’y mit et l’on eut tout à craindre une nouvelle fois.

L’on fit venir le docteur de Saint Sauveur de Nuaillé, le docte bonhomme hocha la tête tant et plus. Les parents comprirent immédiatement, il ne restait qu’à attendre.

Ce ne fut d’ailleurs pas très long, Anne Moinet âgée de deux ans, troisième fille du couple décéda dans les bras de sa mère le 16 février 1793.

Jean Hillaireau ne fut pas de corvée de constatation, le maire s’en chargea. Nicolas Perroteau nouvellement élu se rendit avec le père pour constater la mort de l’enfant. La corvée lugubre lui pesait comme tout à chacun mais son devoir le faisait malgré tout avancer, il pénétra dans la maison maudite. Marie Anne n’était plus qu’un spectre, sa jeunesse, sa fougue, sa vitalité étaient montées au ciel avec ses trois filles. Bizarrement elle s’était parée de la même pâleur que sa petite qui gisait dans son berceau, si elle ne s’était pas manifestée on aurait pu penser que c’était elle la défunte.

Nicolas fit son devoir, la petiote fut enterrée le soir même à coté de ses sœurs. Il constata rapidement que l’année serait mauvaise au niveau de l’équilibre naissance décès.

La commune comme une punition divine de n’être plus une paroisse eut 16 décès en 1792 et 23 en 1793, alors qu’ en 1791 il n’y en avait eu que 9.

Les choses retrouvèrent la normalité en 1794 avec 9 décès, confortées par le même nombre l’année suivante.

Le couple Jean Moinet et Marie Anne Rouhault eurent ensuite trois fils et une autre fille Élisabeth.

Mais le destin mauvais, fit qu’ Élisabeth mourut à 23 ans, jeune mère et jeune mariée, que Laurent mourut à l’age de 6 ans et que Jacques ne dépassa pas les 19 ans. Seul Jean Jacques, celui conçu l’année horribilis vécut assez longtemps pour côtoyer la vieillesse ( 72 ans ).

Marie Anne Rouhault mourut le 29 décembre 1831 et Jean son mari le 9 novembre 1823

CONFIDENCE DE VILLAGE, LES FILLES AU GARS MOINET, PARTIE 1