
Marie Anne assise à pleurnicher sur son sort entend maintenant frapper à sa porte. Elle hurle plutôt qu’elle ne prononce un tonitruent »entrez ».
C’est la petite Henriette la femme du marchand de vin, une gamine de vingt sept ans, la gentillesse même. Elle porte au cou sa jolie petite merveille prénommée Adeline. Elle ne veut rien de spécial, chaque jour l’une ou l’autre se rendent visite, c’est l’heure du café et les deux femmes s’autorisent cette petite folie. Il y a une dizaine d’années d’écart entre les deux femmes alors l’une se sent un peu mère ou éprouve une amitié protectrice envers l’autre. Au vrai elles en sont venues à tout se dire, au point qu’elles partagent finalement leur vie intime.
Henriette est mariée à un drôle de zigoto qui se targue d’avoir la fibre du commerce. Il a quitté son poste tranquille d’employé aux douanes pour devenir marchand de vin. Pierre Lavergne a donc ouvert une petite salle qui donne sur la rue, les ouvriers y passent avant d’embaucher et les poivrots y dépensent leur journée à la débauche. Le mari de Marie Anne fait d’ailleurs partie de cette catégorie, ce qui met de l’animation dans le couple quand il rentre en état d’ébriété.
Pour le moment c’est l’état de l’immeuble qui leur sert de préambule à leur moment de convivialité. La petite connaît l’animosité que Marie Anne éprouve contre la Charlopeau et semble s’amuser à jeter de l’huile sur le feu. Comme un instinct animal qui fait que certains jouissent de voir les autres s’entre-déchirer. Vicieusement elle introduit dans la conversation des éléments qui font monter la tension. Si Louis n’était pas le copain du Charlopeau il y a beau temps qu’elle lui aurait mis une volée. Marie Anne entre deux lampées de breuvage avoue sa grossesse à sa voisine et se met à pleurer abondamment. De ce gosse elle ne veut pas, c’est une certitude. C’est un grand malheur pour toutes les femmes de ne pas pouvoir réguler leur maternité. La jeune Henriette évoque alors une invention anglaise, elle ne sait pas le prononcer mais pense que cela se dit condoms. Cela les fait rire aussitôt, Marie Anne ne voit son Louis de mettre un bout de boyau sur le sexe et Henriette pleure et manque de se faire dessus en s’imaginant glisser sur le membre de son mari une peau divine. Non le meilleur moyen est de sauter de la carriole en marche, évidemment cela ne marche pas à chaque coup et encore faut-il que monsieur le veuille bien. Henriette dit qu’elle ne risque rien car elle allaite encore son petit, Marie Anne hausse les épaules et donne les dates de naissance de ses enfants. Cela ne marche guère, alors il ne reste que l’abstinence et la prière. Pour la première on est sûr, pour la seconde méthode c’est à voir et de nouveau les voilà parties d’un nouveau fou rire.
D’un coup la petite Augustine rentre en pleurs, elle est chargée de garder sa petite sœur Adélie mais l’a perdue. C’est l’affolement, le canal n’est guère loin et malgré le monde un accident peu vite arriver. Marie Anne court en tous sens dans la rue suivie d’Henriette avec sa petite . On alerte le monde, madame Soulié sort de son échoppe, Mariette la domestique des Lagrave les aide à chercher, Suzanne Méhaignery et sa fille Victorine partent en direction de la place de la caille, Alfred Sauvaget le professeur de musique pénètre dans l’église pour voir si la chenapane ne s’y promène pas.
Au bout d’un long moment on voit arriver Magdeleine Charlopeau la drôlesse à la saloperie du dessus qui tient Adélie par la main. Elle vient de la récupérer sur les marches du temple réformé, que faisait elle là bas? la petite de trois ans ne sait répondre.
L’air de triomphe d’Élisabeth Charlopeau est la pire des humiliations, le regard de cette dernière suggère grandement qu’elle est une mauvaise mère .Mais elle réglera cela plus tard, en attendant c’est Augustine qui trinque, sa mère l’attrape lestement la coince sur ses genoux et lui remonte sa jupe. Une fessée magistrale récompense sa mauvaise surveillance, cela ne semble plus finir Marie Anne a tellement eut peur qu’Henriette doit l’arrêter. Augustine le cul rouge et douloureux se sauve et va se réfugier dans la rue avec Magdeleine Charlopeau. Elle n’y est pour rien si Adélie est une petite vipère qui se faufile hors de sa vue pour la faire bisquer. Elle se jure qu’elle se vengera de sa mère. La journée touche à son terme, les pères rentrent du travail et Augustine redoute ce moment. Lorsqu’elle pénètre dans l’appartement Louis a le regard des mauvais jours, après la magistrale fessée de sa mère elle tremble de la réaction de son père. Il n’est pas dans les habitudes de ce dernier de trousser le jupon de ses filles, laissant la besogne à leur mère mais sur un coup de folie une possibilité peut se faire jour. Qu’un homme la touche de cette façon dussé-je être son père, elle en serait humiliée. La réponse arrive de toute façon par une gifle magistrale. A l’avenir elle devra garder ses frères et sœurs un peu mieux