
Le siège de Paris était commencé depuis le 17 septembre, tous disaient qu’on irait secourir les parisiens, que des armées se lèveraient partout en France, que les gardes mobiles la fleur au fusil foutraient un bon coup de pied au cul aux fridolins. Dans leur jeunesse et leur ignorance, les membres de la troisième batterie pouvaient peut être le penser mais les dirigeants plus au fait devraient-ils le croire. Les départements conquis souffraient terriblement, réquisitions, meurtres, viols. Ce n’était pas les soldats français qui jouissaient des faveurs des femmes allemandes plutôt nos envahisseurs qui jouissaient des nôtres. Les prussiens, les badois et les bavarois en maraudes ne se gênaient nullement pour forcer nos filles.
Enfin ce fut le départ, les bataillons et les batteries étaient complètes, en avant.
Tous s’imaginèrent qu’ils partaient sur Paris afin que tel un flux salvateur les eaux armées qui s’étaient levées, iraient laver l’affront de Sedan et de Metz. Au départ pour nos quatre hommes et pour le reste des effectifs ce ne fut qu’une débauche de paysage, chaque pas apportait un brin de découverte, une dose d’exotisme. Ils s’étaient imaginés en leur ignorance que le paysage qu’ils avaient sous les yeux dans l’île était commun à toute la France. Les gradés haussaient les épaules de voir ces parfaits idiots qui tous parlaient un patois incompréhensible croire ces parfaites erreurs.
La route se faisait longue maintenant, Étienne traînait durement la jambe, lors d’une halte il avait fait l’erreur de retirer sa chaussure, une plaie à vif d’un vilain rouge laissait envisager qu’il lui faudrait bientôt s’arrêter. Jules et Pierre avec la fatigue trouvaient que les paysages se ressemblaient et étaient moins beaux. Il n’y avait encore que Louis qui se complaisait à traverser la France en une destination, qui depuis qu’on savait que les mobiles de Charente inférieure n’iraient pas à Paris, parfaitement inconnue. Lui badinait avec les paysans rencontrés, s’ émoustillait des courbes féminines penchées dans les champs. Lors des cantonnements dans les villages invariablement il partait en quête de bonne fortune et invariablement revenait , car aucune ne succombait à la triste apparence de nos uniformes.
Enfin l’on apprit que nous les moblos du département seraient versés dans l’armée des Vosges. En voilà une idée, irait-on dans les montagnes Vosgienne se faire casser la tête ou ce nom n’était-il qu’un hommage à un département déjà sous la botte étrangère. Personne ne le savait mais le lendemain le capitaine en grande discussion avec le lieutenant évoqua le fait qu’un certain Garibaldi prendrait le commandement de cette armée.
Nos rétais n’avaient jamais entendu le nom de ce général ni lu la moindre ligne sur lui dans les journaux. Mais un sergent qui avait bourlingué, tout couturé de mille estafilades, ancien de l’Italie et de l’Afrique dénia expliquer autour du feu où cuisaient quelques patates, que ce Garibaldi était un républicain Italien, un héros controversé qui avait maintes fois combattu les Français. L’italien et ses fils Ricciotti et Menotti proposèrent leur service au gouvernement de défense nationale. Gambetta leur confia l’armée dite des Vosges. Avec ses chemises rouges il s’installa à Autun en Bourgogne avec comme but de guerre; de barrer le chemin de Lyon à l’armée prussienne.
C’était d’ailleurs le chemin que prenait sans le savoir nos Arçais. Route longue et difficile, le ravitaillement ne suivant pas et les paysans des villages traversés répugnant à fournir le minimum.
Tout en étant pauvres nos sauniers n’allaient pas au marais le ventre vide, là dans cette organisation qui aurait du être martiale, ils leur arrivaient de faire de nombreux kilomètres le ventre creux. Puis nos habitants des plates contrées connurent la joie d’admirer des montagnes. La beauté des chemins était sans conteste à couper le souffle, mais le froid qui maintenant pénétrait sous les tentes et la pluie qui transperçait les capotes minimisaient le plaisir.
Au vrai pour simplifié Louis disait on crève de froid, on crève de faim, on crève d’épuisement à marcher comme des ânes bâtés et l’on va se mettre sous les ordres d’un général italien sulfureux pour arrêter des prussiens qui avaient anéanti l’armée régulière . Vous parlez d’un cadeau que l’on faisait à la jeunesse de France, c’était à en pleurer de dégoût. Plus l’on s’enfonçait dans de nouveaux paysages plus Pierre Bigot, Jules Heraudeau, Étienne Giraudeau et Louis Perrault avaient l’impression pénible d’aller vers un pays d’où on ne revient pas. Ils seraient partis en Chine que l’effet aurait été le même.