
Louise comme tous les dimanches est là à attendre avec les autres paroissiens que le curé Mestre commence sa messe. Elle n’est pas spécialement croyante mais le chemin qui la conduit ici, elle le prend depuis sa tendre enfance. Sa mère idolâtre de cette engeance ne pouvait se faire une idée de la vie sans les sermons moralisateurs des curés et sans les confessions régulières qui l’amenaient à lier sa vie intime à ce foutu corbeau noir.
Elle se rappelle le temps qui lui paraissait immensément long où sa mère dans cette cage grillagée parlait et parlait encore. Louise alors déambulait librement dans le vaste et froid édifice où tout lui faisait peur. Ensuite, elle accompagnait sa mère la serrant de très près dans ses jupons, elle n’avait plus peur du saint lieu, ayant appris à l’apprivoiser, mais des gens. Jeune fille encore tremblante devant le moindre sourire masculin elle dut aussi se confesser d’hypothétiques fautes. Sa mère l’exigeait, le curé le voulait, alors Louise obtempérait et s’inventait des péchés. Le soir elle psalmodiait des Avé Maria et des Pater Noster jusqu’à ce que ses genoux lui fassent mal. Jamais elle ne remit en cause ce qu’on lui disait et elle en vint à penser qu’ils avaient raison.
Le temps du mariage arriva bientôt, elle n’était pas un bon parti, loin de là. Ses parents n’avaient pas de terre et elle pour compenser n’avait aucun des charmes qui soumettent les hommes.
Personne ne semblait s’intéresser à elle, aucun garçon ne se proposa. Son corps en jachère lui faisait mal et des mauvaises pensées lui venaient comme il vient du vin aux vignerons, alors elle se confessait et de nouveau elle psalmodiait. Elle ne comprenait guère pourquoi la vie était ainsi faite, sa légère claudication pour elle n’était pas un handicape et n’altérait en rien ses autres atouts. Sa poitrine lui semblait bien faite et il lui semblait que les hommes avaient tendance à admirer ses fesses, pourtant elle n’attiraient personne. Un vaste désert, une catastrophe. Elle était pourtant travailleuse et honnête, mais on l’embauchait un peu comme une fille de rien. Un jour pourtant un patron se fit plus gentil, cela se termina dans la paille, une belle bataille en vérité, elle avait la robe relevée, les fesses à l’air mais elle finit par vaincre par sa jeunesse et sa forte constitution. Elle rossa presque le vieux, mais perdit son travail. Sa réputation également en pâtit et la version racontée par le bonhomme l’empêcha d’avoir des prétendants. On l’oublia tout à fait, les années passèrent, le temps était passé, vieille fille, pucelle, grenouille de bénitier et boiteuse de surcroît.
Sa mère lâcha la vie en premier, elle n’éprouva rien et s’en confia au curé. Pater Noster et Avé Maria, encore et encore, en n’en sortait pas. Elle devint tout à fait la bonniche de son père, sa servante, sa presque femme si on excepte le devoir conjugal. La vie était dure, il n’avait que son salaire de journalier et elle les piécettes qu’elle avait du mal à gagner. Puis le vieux claqua comme une vieille branche vermoulue, elle n’éprouva rien et s’en confia au curé Mestre. Curieusement il ne lui demanda pas de se repentir lui aussi avait lâché l’affaire. Son père ne laissa que de misérables défroques qu’elle vendit peu à peu. Ce qu’elle gagnait payait le logement, mais pour le reste. Son allure n’y gagnait rien, ses vêtements malgré des soins de couture infinis perdirent leurs attraits. L’on se moquait maintenant d’elle et bientôt la vieille Louise montrait son cul à travers sa robe rapiécée. Les enfants lui faisaient des avanies, les hommes se montraient maintenant indécents. Quand aux femmes, elles rejetaient celle qui n’était pas comme elle. La Louise ne se prenait pas de plumée par un mari ivrogne, elle n’avait pas à souffrir du devoir conjugal, ne crevait pas à pondre des gosses qui augmentaient la misère en mangeant le peu qu’ils avaient. Pour un peu on en aurait été jalouse de cette liberté, peu importe qu’elle n’eut pas de bois de chauffage, qu’elle se couche le ventre vide, qu’elle marche avec des sabots troués.
Le maire toutefois s’inquiétait bien un peu et le curé un dimanche admonesta ses paroissiens sur leur cœur de pierre. L’augmentation d’indigents sur la commune était-il le corollaire de la richesse naissante dut à l’eau de vie. A quoi bon se pavaner sur son banc d’église dûment payé avec des souliers de cuir tout neuf lorsque deux rangs derrière des hommes et des femmes, vêtements râpés, pieds nus avançaient leur trogne famélique.
Louise au fond dans ses hardes, toute honte bue, ne souffrait même plus d’être tombée dans la misère, encore un degré et elle serait au ruisseau. A coté d’elle, Louise Migaud souffrait sûrement autant qu’elle. Elle aussi était un ventre creux, seulement sa jeunesse lui laissait encore un peu d’espoir. A la sortie de l’office ils étaient bien une dizaine d’indigents, espérant une pièce. Mais pour cossus, qu’ils étaient les riches propriétaires, n’étaient guère généreux. Seule Marie Marchand avec son bébé dans les bras obtenait un petit quelque chose de madame Robin la femme du négociant.