
Enfin la vieille a fait son baluchon, partie sans dire au revoir, comme elle est venue, une étrangère.
Un matin une voiture s’est arrêtée au pied de l’immeuble et des portefaix ont déménagé l’appartement. Une vieille literie où même des vagabonds de l’hôpital ne dormiraient pas, une commode brinquebalante, vermoulue, mangée par les vers, relique d’un passé peut être heureux. C’est tout, le reste elle l’a mis en vente, une vraie braderie, une foire à la saloperie, un encan de pauvres où elle n’a sûrement pas récupéré de quoi s’acheter un jupon neuf. Où va t’ elle, personne ne le sait, personne ne lui a demandé ?
Chez les cordonniers on exulte, enfin Jean Baptiste va pouvoir s’établir, l’affaire est déjà entendue, il a déjà jeté aux orties la virginité d’Irma. Le reste n’est que discutailles, paperasses et billevesées de maquignons.
Les parents de la future sont bels et bien morts, alors un conseil de famille gère les intérêts de cette dernière. C’est vite fait d’ailleurs, il n’y a rien, elle donne son corps et ses hanches larges feront de beaux cordonniers. Tout le monde compte qu’elle deviendra sous la coupe de sa belle mère une bonne ouvrière, une bonne ménagère, une bonne mère et une bonne chrétienne.
Jean baptiste en plus de tout cela retiendra sûrement ses jeunes charmes en espérant que les maternités ne viendront pas la transformer en futaille.
Le propriétaire heureux de louer son appartement a des gens en capacité de payer et surtout d être saisis en cas de non paiement a accepté tout de suite. Véronique va se mettre en devoir de dresser la petite niaise et d’en faire une esclave docile pour la cordonnerie familiale.
Le 5 février 1852 maître Dubois notaire rédige un contrat de mariage. Il ne faut quand même pas faire confiance a une inconnue qui n’a que ses fesses comme dot, Véronique ne tient pas à se faire dépouiller et finir ses jours à l’asile. Étienne au grand dame de sa femme est tombé sous le charme de la petite, il n’a pas eu de fille et Irma en fera office. Véronique qui veille au grain, voit le mal partout et pense que son vieux bonhomme est plutôt subjugué par les mouvements gracieux de la jeune biche qui selon elle tourne autour du vieux cerf en rut.
Le mariage a lieu le lundi 9 février 1852 à midi, s’est monsieur Marquet un adjoint au maire qui les marie. Jean Marc Reverchon serrurier âgé de trente huit ans et ami de Jean Baptiste est le premier témoin, ce n’est que retour d’amitié car l’année précédente Jean Baptiste avait assisté son ami pour son mariage. Le jeune frère d’Irma Coudret, voilier signe en deuxième, ensuite viennent pierre Bernard un solide tonnelier de cinquante deux ans et le petit Hippolyte Soulier vingt sept ans et aussi cordonnier.
Véronique fait un peu la moue car de l’assemblée elle est la seule à ne pas savoir signer.
Les Soulier même si la pratique religieuse leur échappe un peu sont toutefois catholiques et se doivent de marier leur fils à l’église, il serait bien inconvenant de rejeter cette tradition séculaire. Jean Baptiste est baptisé, Irma aussi alors rien ne s’oppose à ce qu’on voit que les cordonniers ne se chaussent pas si mal. On organise un petit défilé, la mariée est magnifique avec sa coiffe.
D’ailleurs cette dernière est le sujet du premier conflit entre la jeune et la vieille. Véronique concevait comme tout le monde qu’une femme ne rentre pas en cheveux dans une église mais ne voulait pas non plus que les broderies de sa belle fille ne lui coûtent un bras. Ce fut une rude bataille et Jean Baptiste pour une fois tapa fort sur son établi, Irma aura ses dentelles.
Ses magnifiques cheveux couleur de feu sont donc enchâssés dans la coiffe traditionnelle mais avec des pans brodés qui lui descendent à la taille et surmontée d’un nœud de satin blanc. Pour Véronique c’est un geai qui se pare des plumes d’un paon. Le châle qu’elle se pose sur les épaules est éclatant de couleurs, des fleurs comme dans un jardin de curé. Un port de reine assurément, Jean Baptiste dans son costume neuf et les souliers qu’il s’est confectionnés entre dans l’église de saint Sauveur comme le roi dans la cathédrale de Reims. Ce n’est plus un mariage mais un couronnement, le sacre de l’amour. Tout le voisinage s’arrête un instant de travailler, les mariages sont spectacles gratuits. Élisabeth Charlopeau cancane avec Marie Anne, Rosine Méhaignery et sa mère soupèsent la dot en regardant les souliers crottés de la famille de la mariée et la mère Crampagne quitte son comptoir de bois pour applaudir à ces gens heureux.
Il a été décidé que la noce se ferait modestement, la famille, la famille des témoins et les jeunes amoureux du dessus mais Étienne et Jean Baptiste s’entendent pour inviter cordialement les voisins à boire un coup de vin bouché qu’ils ont fait venir de Surgères.
Jean Baptiste et Irma répètent sous les voûtes centenaires le grand oui qu’ ils ont formulé à la mairie. Mariés devant les autorités, puis devant Dieu sous le regard de la rue Saint Sauveur, ils vont trinquer avec leurs proches.
Dès le lendemain commence la sourde lutte entre la vieille cordonnière et sa bru, bataille qui bruissera de ses rebondissements jusqu’à son dénouement lorsque Véronique devenue veuve fera enfin un pas de coté.