LA RUE SAINT SAUVEUR, PARTIE 24, LA BAGARRE RÉCONCILIATRICE

Marie Testard en a maintenant la conviction, c’est sa saloperie de voisine qui a menti, elle l’a su car évidemment la délation en ces communautés va dans les deux sens. On lui a dit qu’elle a dit, rien de plus précis mais c’est suffisant pour engager la guerre de paliers. Au numéro 6 de la rue, la famille partage l’immeuble avec les Peyrot et les Charlopeau. Louis Testard et Jacques Charlopeau sont gens de bois, l’un menuisier et l’autre charpentier de navire, rien de commun si ce n’est la matière et un goût immodéré pour une petite chopine par-ci par-là. Marie ne déteste pas Jacques comme elle déteste sa femme, elle trouve trivialement qu’il sent la même odeur que son homme. Une fragrance de sciure, de copeaux de divers odeurs de bois, c’est étrange finalement, c’est un peu ce parfum qui l’a fait chavirer et elle se dit qu’elle aurait pu céder au Jacques. Les deux sont copains comme cochon, c’est embarrassant lors que les deux compagnes se détestent. Les Peyrot à l’étage au dessus ne sont pas de la même race, la pierre et le bois ne vont pas ensemble bien qu’on trouve des menuisiers sur les chantiers où œuvrent les tailleurs de pierre.

Une race supérieure les tailleurs de pierre, ils ont construit les cathédrales, sans aucun doute, mais les bâtiments ont bien été couverts par les charpentiers, on pourrait en discuter à l’infini. Quoi qu’il en soit, Joseph Peyrot ne s’arrête pas à l’auberge des Crampagne ni à aucune autre et ne refait pas le monde avec ses deux voisins. 

D’ailleurs les trois hommes se moquent bien de toutes les difficultés de la vie dans l’immeuble, terreau de la guerre larvé des femmes qui restent au foyer.

Dans l’immeuble aucune famille n’a de bonne, alors évidemment Élisabeth, Marie et la Charlopeau se croisent en un joli ballet, le pot de chambre à la main. C’est la nature mais c’est embarrassant, l’escalier est étroit, l’on se frôle l’on se touche, l’on se sent. Marie dit que la Charlopeau est une vilaine planche à pain. Charlopeau dit que la Teslard est une grosse dondon.

Certes l’une est plus grassouillette que l’autre mais le pourquoi de leur haine commune est ignoré de tous. Il n’y a en fait aucune raison enfin il n’y en avait aucune jusqu’à présent.

Un matin le drame commence, Marie croise sa voisine et lui met un grand coup d’épaule, l’autre dégringole avec son gênant contenu. Elle en a partout, sa robe est maculée et une odeur forte se répand sur les marches de bois.

Élisabeth sort sur le palier en entendant le fracas, elle voit Charlopeau se ruer sur la Testard et lui assener une gifle monumentale. Les deux femmes hurlent, s’injurient, les coups pleuvent et elles sont bientôt dans la cour. La rue alertée par la clameur est bientôt toute entière dans les lieux. Elle sent le sang, les hommes se pourlèchent les babines d’une éventuelle apparition de chair mais ce sont les femmes qui sont les plus haineuses.

Plutôt que de les séparer, on les encourage, on les incite, on les excite. Les deux se tiennent par les cheveux, leur bonnet à terre. Marie Anne est plus forte et ceinture Charlopeau, elle se vante , elle gueule qu’elle va trousser sa voisine et lui faire rougir son sale cul. La foule assoiffée rigole, un désir inconscient monte parmi elle. Charlopeau est en mauvaise posture, elle se tortille, comme une anguille présent l’humiliation, elle est coincée et sent que sa robe remonte dangereusement. En une dernière énergie elle mord de toutes ses forces Marie Anne qui en hurlant lâche sa proie. Le peuple n’est pas content, personne n’a vu de chair, de fesses, de seins, il n’y a pas la fessée promise. La garde alertée est bientôt sur place, les hyènes se dispersent, les deux femmes sont emmenées au poste de police de l’hôtel de ville, elles n’ont plus d’allure, les deux sont dépenaillées, les robes déchirées, le chignon de Marie Anne n’est que ruine et il manque une longue mèche à Charlopeau. Marie Anne ne veut pas suivre, alors un garde lui met les poucettes. Il n’y a pas de vainqueur, les deux passent dans la rue comme des bagnards. L’humiliation elles la subissent toutes les deux, que vont dire les maris.

 

On les jette en geôle, les gardes sont goguenards et l’un est aviné. Les deux femmes sont apeurées, elles ne sont plus dans le milieu protecteur de leur rue, de leur immeuble. Elles entendent les hommes derrière le judas qui disent qu’ils vont les mettre à poils pour s’assurer qu’elles n’ont aucun objet dangereux sur elles. Elles sont terrifiées, Marie Anne s’oublie, elle sanglote, elle qui porte encore les stigmates de la volée que lui a mis son mari, elle redoute que cela recommence et ce devant les militaires. Curieusement c’est Élisabeth Charlopeau qui la réconforte, elle, ne craint pas son mari qui ne l’a jamais battue et qui a un rapport à l’autorité assez flou. Les deux femmes se serrent l’une contre l’autre, oubliées les querelles, l’animosité, elles sont en perdition. Marie Anne a mal au bras, la morsure qu’elle a subi la brûle, Élisabeth a le cuir chevelu douloureux.

Un homme qui semble être le chef les extraie de la geôle et dresse procès verbal. Il y a troubles à l’ordre public, il y aura amende ou bien même prison. De toutes façons seuls les maris peuvent les sortir de là, au regard de la loi, elles sont comme des mineurs.

Louis et Jacques comme deux frères arrivent en même temps, les deux ont honte de leur femme mais ne comptent pas en rajouter en public. Sans un mot les deux fautives sont ramenées au bercail. L’explication viendra plus tard.

 

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LA RUE SAINT SAUVEUR, PARTIE 23, LA BOURGEOISE OUTRAGÉE

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