LA RUE SAINT SAUVEUR, PARTIE 21, LA VILAINE RUMEUR DE COCUFIAGE

Victor Méhaignery a repris le commerce des peaux, ce travail à l’octroi ne l’intéressait guère, il n’est pas douanier, ni fonctionnaire. Non chez les Méhaignery c’est la peau, le cuir que l’on a dans le corps. Sa famille paternelle vient de Vitré en Bretagne et aussi loin qu’on puisse plonger tous étaient dans le commerce des peaux.

Du coté maternel il en est de même et l’on peut remonter le temps, presque jusqu’au siège de 1628 pour trouver des corroyeurs et des marchands de cuir. Les ancêtres viennent de la Marne, du Maine et Loire ou de Bretagne mais tous ont un point commun qui est le cuir. De la cordonnerie, au tannage et ensuite au négoce, les Méhaignery au sens large se pénètrent du cuir. Il est donc pleinement heureux et se félicite de voir de temps à autre galoper son fils Thomas à ses cotés, lui aussi sera corroyeur à n’en point douter.

Alors que Victor revient du port où des porte- faix ont déchargé des ballots de peaux en provenance du Canada il se heurte a une femme. Il s’excuse et stupéfait s’aperçoit qu’il a Marie Anne devant lui. Il balbutie, rougit comme un gamin, ne sait plus quoi faire. L’âge adulte n’a pas gommé l’infériorité qu’il ressentait devant elle lorsqu’elle le bousculait. La encore, elle prend l’initiative, l’interroge, tout y passe, vie de famille , travail, santé. Lui parle et parle encore, elle sait tout de lui mais il ne sait rien d’elle sauf qu’ils sont voisins. En dialoguant ils sont arrivés rue Saint Sauveur, ils sont chez eux, ne rien laisser paraître d’une ancienne amitié, d’un ancien amour. Dans la cour de l’immeuble de Marie Anne, leurs mains se joignent, c’est rapide, une caresse fugace, légère, non préméditée.

Victor a des envies de se jeter dessus, de l’embrasser, de la déshabiller. Elle, ne ressent rien sauf un brin de malice et lui fait voir qu’elle a encore une fois pris au piège le nigaud. Elle sent qu’il est toujours malgré sa position sociale, qu’un petit homme emprunté en amour. Par jeu elle pense immédiatement qu’elle pourrait en faire ce qu’elle veut, une marionnette dont elle tirerait les fils.

Ils doivent se laisser, ils ne peuvent se fréquenter, il ne connaît guère le menuisier Lacoste Testard et il ne peut débarquer dans la vie de Marie Anne en évoquant un ancien amour.

Marie Anne toute chamboulée remonte bien vite à son appartement, ce qu’elle a ressenti n’a rien à voir avec de l’amour, c’est tout autre.

C’est plus matériel, plus trivial. Son cœur palpite, son ventre lui fait mal, sa poitrine s’est comme gonflée, elle pénètre chez elle comme une folle. Ses six enfants sont là et comme une troupe bien ordonnée tournent leur regard vers elle. Son agitation cesse aussitôt, elle redevient elle même.

Mais fanny en femme qu’elle est déjà, a remarqué, a pressenti, a ressenti l’imperceptible émoi féminin de sa mère. Elle en est à son tour troublée, n’ayant jamais considéré sa mère comme une femme.

Toute la soirée elle repense à cet instant de fugace pulsion, elle a compris ce n’est pas une sainte. Mais si elle perçoit que son corps est à elle, il est aussi et avant tout à son mari. Elle a juré devant Dieu qu’elle serait fidèle, c’est un engagement irrévocable qu’elle a jusqu’à lors tenu. Pas particulièrement croyante, mais dans le doute elle a peur d’un jugement céleste. Elle pense que l’enfer est sur la terre et non point la haut pour l’éternité. Il n’empêche le sommeil ne vient pas. Louis prend ça pour une invite, elle s’exécute machinalement et s’autorise quelques petits cris de contentement. Il faut bien donner le change, lui faire croire en sa puissance .C’est malin, le bonhomme s’est tourné et ronfle, elle n’est pas repue, pense à Jean Victor, la nuit sera longue.

Mais de sa fenêtre Élisabeth Charlopeau a tout vu, en femme elle sait que les deux qu’elle a vu dans la cour ne sont pas des étrangers l’un pour l’autre. Elle présent qu’il y a anguille sous roche. Elle va pouvoir de sa langue acérée avoir un moment de gloire en racontant ce qu’elle a vu.

Elle en parle aussitôt a Élisabeth Peyrot, en rajoute un peu pour sûr, le corroyeur il l’a prise par la taille, elle le jure, de ses yeux vus.

Puis mue par une inspiration divine la Babette comme tout le monde la nomme se rend à l’église où elle peut avertir comme il se doit qu’un adultère se commet sous les yeux de tous.

Voila la rumeur lancée, elle s’élève comme un coup de vent, brise les portes et pénètre dans les intérieurs, dans les boutiques. Elle sort de la rue Saint Sauveur, s’engouffre dans la rue du Temple, tournoie et se précipite rue des Merciers pour revenir par la rue Saint Yon. La Lacoste Testard, elle a le feu au cul et son Louis a de sacrées cornes. La Victoire Méhaignery, ses grands airs ne l’ont pas protégée, on la dit coincée et cela se confirme, le pauvre homme il a été voir ailleurs.

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