
Véronique se sent renaître, cette petite voisine qu’elle a secourue devient presque une amie. Elle a l’âge d’être sa mère mais faisant fi des quelques années en trop qui l’encombrent, elle a ouvert son cœur à la gamine.Les bruits occasionnés par la jeunesse du couple ne sont plus un problème, elle sourit même à chaque bruit suspect. Elle en rigole et retrouve même en s’imaginant les deux amants un brin de sa jeunesse à elle.L’autre jour elle s’est même surprise à prendre la main de son vieux grincheux de cordonnier. Il en a été surpris et pour un temps est redevenu l’amant fougueux qui lui a fait quatre fils.
Anaïs vient d’avoir une fille, elle est magnifique, Véronique rêve d’être grand mère et s’identifie un peu. Elle a assisté à l’accouchement, c’est un moment merveilleux où la souffrance est supportable car en naît le bonheur. Étienne qui a du mal à faire taire ses réticences sur le père de l’enfant a accepté d’être témoin. Véronique l’a même entendu chanter de nouveau dans son échoppe. Autrefois au temps du bonheur, l’atelier retentissait de sa voix merveilleuse. Son mari travaillant au milieu de ses fils avait l’effet magique de la sainte cène. Auguste, Hippolyte et Charles travaillaient de concert avec celui qui leur avait enseigné le métier. Chacun s’entendait et l’affaire de cordonnerie prospérait. Puis il y eut dissension entre les garçons, Hippolyte s’en alla au grand dame de son père, puis ce fut le Jean Baptiste qui tenta aventure chez un concurrent.
Étienne en fut traumatisé, mais le pire était à venir. Charles âgé de vingt quatre ans, rude gaillard, travailleur acharné, talentueux aux mains d’or tomba malade. Rien de bien inquiétant, une légère gêne, une petite toux, pas même un brin de fièvre, en tous cas rien qui ne nécessite de s’arrêter de travailler. Mais le mal empira, il fallut se résoudre à lâcher pour quelques jours les formes de bois et les lambeaux de cuir. Il se coucha donc, confiant en la science du médecin, il toussait vraiment et son front n’était plus que braises. Véronique resta à son chevet, l’essuyant, le changeant, le sortant de ses excréments. Elle lui racontait des histoires, lui lisait les nouvelles. Jean Baptiste réconcilié avec le père passait le voir, Hippolyte lui aussi mit son ressentiment dans un mouchoir et passait de longues heures avec celui qui avait partagé de longues années sa couche.
Même Alfred le cadet qui avait choisi de ne pas choisir la cordonnerie, lâchait ses ciseaux de »merlan » pour bavarder avec son ainé.
La vie au numéro un de la rue Saint Sauveur restait suspendue, la faux ne s’était pas encore abattue sur Charles. Les plateaux de la balance de la vie restaient au même niveau. Puis un jour, alors qu’un étrange soleil hivernal inondait l’église Saint Sauveur, que les blanches pierres des immeubles de la rue exsudaient une fine vapeur que la foule grouillante, des travailleurs de la rue, ressortait après une forte giboulée, Charles dans un râle se raidit dans le dernier spasme de sa courte existence. Véronique qui était descendue à l’atelier apporter le repas d’Étienne, le trouva les yeux révulsés, un rictus de mécontentement aux lèvres. Mort seul, alors que des vies nombreuses assourdissaient l’environnement, mort seul alors que jamais on ne le laissait, un bien vilain tour que la camarde avait joué à tous. Un cri horrible à fendre une âmes retentit dans l’appartement, Étienne le perçut, abandonna son soulier, monta quatre à quatre l’escalier de bois et se figea devant le corps de son fils.
On l’enterra dignement, les voisins assistèrent, une vraie communauté, une vraie famille. Les Testard, les Méhaignery, les Peyrot, les Crampagne et les Lavergne, tous suivirent le convoi jusqu’au cimetière Saint Éloi. Depuis les soulié ne vivaient plus.
Sans pour autant que le drame soit oublié, la naissance de la petite dans l’immeuble, la fraîcheur du couple d’amoureux avait amené un renouveau, un élan de bien être, un printemps au peu d’hiver qui leur restait. Comme l’on dit qu’un malheur n’arrive jamais seul, retournons l’expression pour le bonheur qui lui aussi peut venir accompagné.
Jean Baptiste un jour déboule avec une jeune femme, elle s’appelle Louise Irma Coudret. Elle est bien mignonne, comme disent les Charentais, ils ont ont décidé de se marier et viennent demander l’autorisation. Pour un peu le Étienne en vient à pleurer. Véronique, se méfie de l’étrangère qui ravit définitivement son fils , mais jubile intérieurement. Lui feront-ils des petits?