LA RUE SAINT SAUVEUR, PARTIE 19, PAR LES MAINS DE FANNY

Julie Peyrot n’a pas revu son amie Fannie Testard depuis leur promenade au quartier Saint Nicolas, elle en souffre car elle n’a toujours pas mis de mots sur la furtive impression qui l’a troublée.

Elle veut en parler à sa copine mais cette dernière la fuit, toujours pressée, toujours occupée, elle ne semble pas vouloir reproduire l’instant qui les a chamboulées.

Mais un jour par un hasard providentiel elle réussit à s’en rapprocher, Fannie est seule et elles arrivent à s’isoler un moment, Fanny semble un peu réticente mais finalement se laisse convaincre.

Sans qu’un mot ou une explication ne soient avancés la magie opère de nouveau. Elles se tiennent la main, et doucement leurs lèvres se rejoignent. Les deux jeunes filles ont cette fois la conscience de s’embrasser réellement. Timidement au départ, puis fébrilement leur langue joue un ballet d’opéra, personne ne leur a appris à faire cela c’est un reflex, venu du fond des âges. Elles sont ignorantes de tout mais comme tous les animaux savent inconsciemment . Elles sont éminemment maladroites, mais Fannie caresse maintenant les hanches de Julie et Julie pose ses mains sur la poitrine de Fannie. Elle sent sa respiration saccadée, sa gorge se gonfler. L’instant ne dure guère, elles ont peur de se faire prendre, mais maintenant elle savent qu’elles s’aiment.

Elle savent aussi bien sûr que cela est interdit, contraire à la loi, contraire à la morale, interdit par la religion. Mais l’attirance des corps, la perception sensorielle font qu’elles se jouent de cet ennuyeux carcan moralisateur. Rien n’existe, sinon le moment présent.

Adrien Peyrot, 8 ans n’en perd pas une miette, voir sa sœur embrasser une fille comme le font les parents, est un bon commencement de journée. Il présent sans savoir encore comment cette information lui sera utile.

Les semaines passent et au cours d’une discussion les parents Peyrot apprennent à Julie que la petite Fannie Testard fréquente un jeune marin.

Elle est effondrée et tombe en faiblesse, les parents sont inquiets et se demande si ils ne doivent pas quérir un docteur.

Julie se reprend mais son frère a compris. Le lendemain alors que les parents sont au travail, Adrien introduit subrepticement Fannie dans l’appartement et la laisse avec sa sœur. La jeune Testard crie au grand dieu qu’il n’y a rien de sérieux avec le marin qui d’ailleurs est reparti en mer. Julie ne demande qu’à la croire et se jette dans ses bras. Là dans la tranquille chambre les deux femmes en devenir vont plus loin. Fanny déshabille Julie comme une poupée et part à la découverte de son corps. Cette promenade sur la nudité de son amie est comme une quête. Julie découvre quand à elle un royaume d’émotion, un duché de folie, un comté de sensuelle gourmandise. Est-ce la transgression ou une réelle attirance qui les fait toutes les deux découvrir la jouissance saphique, elles ne le savent pas et s’en moquent.

Elisabeth Peyrot qui sait sa fille revigorée ne va pas annuler la sortie qu’elle a programmée avec son mari.

C’est prévue de longue date cette soirée au théâtre, cela a été une longue lutte avec Joseph qui estime que des ouvriers ne doivent pas se mêler de telles futilités. Mais Élisabeth qui considère que son mari est plus qu’un simple maçon en juge autrement. Elle se pomponne, met sa plus belle robe, celle qu’elle a achetée au magasin des nouveautés de la rue du Temple et prépare également les habits de Joseph.

Le théâtre municipal est rue Chef de ville et le spectacle qui se joue est celui de Paul Bonjour, la soirée s’annonce comme comique et dramatique.

Joseph fait la tête et Élisabeth relève la sienne, il y a du monde et même du beau. On aperçoit monsieur Beaussant maire de La Rochelle, il y a des armateurs, des négociants, plein de ce que Joseph appelle des cols blancs.

Élisabeth qui trouvait sa robe merveilleuse s’aperçoit qu’elle n’est plus vraiment à la mode. Peu importe le spectacle commence,  » scène comique Normande, un héritage, la mère jacasse, les tribulations d’un troupier, blondette, Robert le diable, le beau Nicolas ». Les chansons s’enchaînent, la salle est conquise, tout le monde rit, applaudit à tout rompre. Joseph oublie ses pierres de taille, ses plans, ses soucis. Finalement il ne regrette pas, Élisabeth est de belle humeur et ne jouera certainement pas les bégueules tout à l’heure, femme qui rit femme est à moitié conquise.

Élisabeth voit le directeur du chantier du bassin extérieur où travaille Joseph, elle le pousse a le saluer, c’est bon pour l’avancement, mais lui n’ose pas. Si il est talentueux au burin, au compas et au dessin de plan, les mondanités ne sont pas de son monde.

Le soir ils décident de rentrer par le port, les auberges sont encore ouvertes, la foule se presse encore, bourgeois en promenade, gamines délurées qui rignochent devant les garçons, ouvrières qui cherchent l’âme sœur, marins en goguette qui jouent des coudes et provoquent les biffins de la garnison, marins pécheurs qui préparent leurs filets pour partir à la marée. C’est le monde du dimanche, du jour chômé, le jour des sorties et des rencontres.

Julie est à la maison, elle garde Adrien, ce n’est pas que cela l’amuse mais il ne lui viendrait pas à l’idée de contrarier sa mère.

Depuis son aventure, elle est toute autre, même si aucun homme ne l’a encore touchée, elle se sent femme. Après tout elle suppose que les caresses de Fannie l’ont conduite là où son père conduit sa mère. Peu lui importe la nature masculine ou féminine de la douceur qui l’a fait fondre.

Mais les choses se gâtent, Adrien est infect et veut jouer les insolents avec ses sœurs. Julie se fâche et le menace d’une gifle. Il la regarde bien en face et lui dit je t’ai vue avec Fanny. Lise Rosalie 16 ans lâche son ouvrage et fixe Julie. Cette dernière rougit jusqu’aux oreilles et se demande ce qu’a vu son frère et surtout quand.

La situation est désespérée mais les parents arrivent et Adrien finit par ne rien dire.

Dans le lit qu’il partage, Lise entend bien connaître le fond de l’histoire. Jusqu’à lors elles ont tout partager.

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