LA RUE SAINT SAUVEUR, PARTIE 16, LE VENTRE D’ANAÏS

Anaïs aujourd’hui doit aller rejoindre ses parents qui demeurent rue Pas du Minage, ce n’est pas très loin et elle adore flâner un peu dans la grande rue des Merciers où se trouve un bon nombre de commerces. Elle est un peu patraque mais à promis. Bien qu’ils habitent dans la même ville depuis qu’elle s’est mariée avec Jean Marie ses parents lui battent un peu froid.

Son père, tailleur de pierre a voué sa vie à son travail pour que ses enfants se hissent un peu dans la société . Avec son bon à rien de gendre il estime qu’il n’en est rien. De plus l’allure et le comportement fantasque de Jean Marie effraient ses parents au point de ne plus vouloir les rencontrer.

 Quand enfin elle sort de chez elle sur le palier la tête lui tourne et ses jambes ne la soutiennent plus. La rampe de l’escalier semble tourner, les marches montent et descendent, elle entend une voix lointaine et s’écroule.

Quand elle revient à elle c’est le visage de la mère Soulié qui lui apparaît. Elle n’est pas dans son appartement et pas non plus dans son fauteuil.

La cordonnière lui tend un café chaud et lui explique qu’elle l’a récupérée à moitié inconsciente sur son pas de porte.

La Soulié a envoyé son fils Jean Baptiste quérir son voisin, mais elle n’est pas inquiète, en femme on ne lui fait pas. La belle plante va bientôt avoir sa jeune pousse. Elle l’interroge sur le sujet mais Anais dit qu’il n’en ai rien, que ce n’est pas possible. Véronique sourit en coin, elles disent toutes cela et a entendre le fracas à chacun de leurs ébats il ne fait aucun doute que cela arrive.

Le tailleur d’habits est là et ramène sa femme chez lui, il est de mauvaise humeur, il est payé à la pièce et cela va encore être un manque à gagner.

Anaïs lui répète ce que lui a dit sa vieille voisine. Il entre dans une colère noire, quand sait elle? A part les godasses elle ne connaît rien à rien et devrait se mêler de ce qui la regarde. Mais à tout bien réfléchir, elle n’a pas fait attention et n’a plus ses règles depuis un moment. Jean Marie ni entend rien en femme, dit qu’elle l’a fait exprès, qu’elle va ruiner sa carrière, qu’ils n’auront pas de quoi le nourrir.

Sa colère se poursuit bien après qu’il soit reparti au travail rue du temple. Anaïs seule sur son lit pleure à chaudes larmes. Ce n’est pas une catastrophe, c’est même inévitable ce genre de situation, depuis que le monde est monde. Les hommes font leurs petites affaires et rendent par la suite responsable leur femme. Elle décide malgré tout d’aller voir sa mère, elle sera de bon conseil et peut être connaîtra t’ elle quelqu’un pour le faire passer. La mère Rivier est fripière rue pas du minage c’est un personnage presque mythique, rien ne la rebute, aucun oripeau, aucune harde fut-elle pouilleuse, elle prend tout, achète tout avec une gouaille à faire trembler des débardeurs ou des débiteurs d’abattoirs. C’est près du vieux marché qu’Anaïs retrouve sa mère, sa charrette est pleine et la journée a été fructueuse. A voir la tête de sa fille , elle devine le drame, le sent et instinctivement regarde le ventre de sa fille.

  • t’es bien bonne à rien, te faire remplir par ton bon à rien.

  • Mais maman

  • Même pas un an de mariage et te voilà bien affublée.

  • Un chiard et un feignant de tailleur qui ne sait pas reconnaître une manche droite d’une manche gauche.

  • Maman je n’en veux pas.

  • Non ma belle tu vas devoir assumer, moi non plus je ne vous voulais pas et pourtant vous êtes là.

  • Alors fais bien attention à qui tu te confies, tu risques ta tête ma bonne.

Anaïs sait qu’elle ne tirera rien de plus de sa mère, aucune aide, aucun réconfort. La vieille est dure comme une planche de vieux chêne. Elle retourne rue Saint Sauveur et va remercier les cordonniers.

Dès lors comme par enchantement une sorte d’amitié se noue entre Anaïs et Véronique. L’une confie ses tourments de future parturiente, ses peurs et ses craintes, l’autre lui confie ses tourments de femme vieillissante. En quelque sorte une mère et une fille qui n’auraient pas été détournées l’une de l’autre par les vilenies de la vie.

La jeune femme ne s’imagine guère que ce ventre rond est le premier d’une longue série et qu’une longue guerre va l’opposer sur ce sujet à son fantasque mari

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