LA RUE SAINT SAUVEUR, PARTIE 15, L’EFFRONTÉE

Victorine Suzanne Méhaignery prend des cours de musique chez son voisin Alfred Sauvaget. Cela ne l’amuse nullement mais ses parents ont décidé que pour briller en société il fallait savoir jouer d’un instrument, savoir danser, avoir un bon maintient, savoir tenir un ménage et un tas d’autres choses qu’elle est trop jeune pour déjà appréhender.

Les contraintes du solfège l’ennuie à mourir et le jeune professeur est bien embarrassé d’une si mauvaise élève. Il ne va rien dire aux parents car il a besoin de ces viles leçons avec des cancres pour pouvoir vivre de sa passion. Les deux font donc semblant et Victorine qui devient femme a décidé de se comporter comme l’une d’elles. Elle fait des manières, froufroute, se pâme, frôle le frêle garçon et le met dans la gène. Malgré son jeune âge elle joue de ses charmes, son corps elle le sait est celui d’une femme. Déjà grande comme son père, avec le port altier de sa mère, une poitrine affriolante en cours de formation, elle sait déjà tout sur la vie. C’est Véronique la bonne qui l’initie, elles sont complices, l’aînée raconte ses frasques amoureuses et lui explique dans le menu détail ce qu’est un homme et comment le manipuler. Victorine sait tout de l’amour et sourit d’entendre les couinements de sa mère dans le silence nocturne de l’appartement. La domestique lui explique que l’amour n’est pas le devoir conjugal qu’il est autre chose, qu’il est découverte, qu’il est échange, qu’il est multiple. La petite s’énerve de tout cela, aimerait être plus âgée, jeter son jupon par dessus tête, s’échauffer dans les bras d’un marin ou dans ceux du Mathurin Coutant le menuisier. Pour l’instant elle cible le musicien et en rigole, Véronique la domestique l’encourage, mais surtout ne pas aller trop loin, il ne faut pas que le benêt se croit autorisé à une privauté. L’exciter, l’énerver mais ne rien lui donner, c’est prématuré, elle n’est qu’une fillette au corps de femme.

En attendant, elle flâne, elle se doute de son retard, mais musarde, s’attarde. Elle se retrouve sur les quais du havre. Le spectacle des voiles des bateaux de pêche qui dansent sur la mer houleuse, la subjugue. Il est tard et l’animation n’est plus celle de la journée, d’autres personnes, d’autres silhouettes ont pris possession des lieux. Un homme s’arrête et lui souhaite le bon soir, c’est un pilotin qui vient de terminer sa dernière navette avec saint Martin de Ré. Il est jeune encore mais c’est un homme, plus un garçon. La conversation s’engage, il est beau parleur, l’interroge. Elle se dévoile, il lui prend la main et elle se trouble. Tout son être frissonne, elle ne comprend pas et il faudra qu’elle demande à Véronique.

Elle a soudain envie de se blottir dans les bras de cet homme, mais elle a aussi envie de s’enfuir. Il est tard, elle se lève et part en courant, mais c’est trop tard, son père qui la cherchant arrivait du canal Maubec l’a vue.

Il la rattrape et par le bras la ramène au 2 de la rue Saint Sauveur, il ne dit rien mais il lui fait mal tant sa poigne est forte. Dans l’appartement l’explication est vive, les garçons cessent de jouer, la grand mère pose son ouvrage, Suzanne arrête sa lecture et Véronique cesse de touiller le ragoût.

Victor en hurlant explique la situation à sa femme, Victorine ne dit rien et toise son père. Une paire de gifles monumentales lui dévisse la tête, ses joues lui cuisent et une giroflée à cinq feuilles se forme. La gamine ne baisse pas les yeux, elle ne voit pas où est le mal, n’a rien fait. Elle est fière et tient tête, son père fait alors glisser sa ceinture de ses passants. La correction va se corser, Victorine imagine que son père n’osera pas aller jusqu’à là, qu’il respectera son intimité, que le cuir de la ceinture ne la violera pas. Non jamais il n’osera porter le corps de sa fille unique à la vision de ses deux frères qui éberlués n’en perdent pas une miette. Lui même qui jamais ne la vu nue ne se permettra maintenant, qu’elle est femme ,de l’outrager. Mais un moment, elle doute, se voit fesser, humilier. Mais elle a raison, le bras de son père se baisse et il l’envoie dans sa chambre. Elle a le feu aux joues des gifles, mais aussi de la honte qu’elle a pensé subir en s’imaginant être battue devant tout le monde. Elle connaît maintenant les limites des colères de son père et pourra en user.

Du haut de ses quatorze ans elle a vaincu son père, rien ne sera plus pareil et bientôt elle sera libre.

Dans la chambre des parents la situation est tout autre, Suzanne allongée sur le lit essaye de se faire câline pour détourner la colère de Victor. Demain il veut conduire sa fille chez les sœurs pour que cette petite garce ne puisse courir le mâle. Victor semble se radoucir et profite même de Suzanne. La mère comme sa fille derrière la porte imaginent avoir gagné la partie. Mais à peine retiré du corps triomphant de son épouse il lui dit,  » demain à la première heure tu fais ses bagages  ».

Suzanne pleure et cherche une solution, elle quitte en silence la chambre et va demander conseil à sa mère qui veille encore

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