
Modeste est allongée dans son lit, elle a froid, personne ne la réchauffe et depuis longtemps la bouillotte qui un temps lui avait cuit les pieds ne lui apportait plus aucun réconfort.
Là bas dans la pièce d’à coté les braises de la cheminée ne sont plus qu’un souvenir et la bonne aura comme tous les matins grande peine à les raviver. Elle est épuisée, trop de travail, de responsabilités et de peine aussi.
Elle pleure de n’avoir pas pu serrer dans ses bras son petit dernier, elle regrette de l’avoir mis en nourrice, mais comment avec le fournil aurait elle pu faire face, chienne de vie. Elle se recroqueville sur elle même comme lorsqu’elle avait peur quand elle était petite. Elle se sent vulnérable malgré sa qualité de patronne. Il va falloir qu’elle vende, cela ne fait aucun doute. A moins que, non elle se détourne de cette idée. Mais rien n’y fait, le sommeil fuit, bientôt elle va devoir de nouveau pousser les portes de l’enfer. Elle va devoir de nouveau affronter, la chaleur du four, la brûlure des muscles de ses bras lorsqu’elle va de se pencher sur sa maie pétrir et pétrir encore la pâte qui formera ses pains croustillants. Elle va aussi devoir supporter les regards concupiscents de ses deux ouvriers. Le Jean a un regard étrange, on a l’impression qu’il voit à travers les vêtements, Modeste a les joues qui en rougissent de honte mais a aussi une étrange sensation dans le bas ventre. Elle s’en défend mais elle connaît cette particularité. Clément son homme savait comment faire pour que ces picotements de plaisir l’envahissent. Ce Jean, jamais elle ne lui concédera ses faveurs, elle ne le désire pas, bien au contraire elle aimerait le voir partir, le voir s’en aller au loin.
Jean est admiratif devant cette femme qui doucement crève d’un travail trop rude. Il aimerait la tenir dans ses bras, la réconforter, la soutenir. Il n’ose cependant aller la rejoindre dans sa chambre, il se consume de n’avoir pas le courage de lui déclarer sa flamme. Dans un autre monde il forcerait la porte close, lui avouerait son désir et elle n’attendant que lui, le prendrait par la main pour le conduire dans sa couche. Mais il n’est qu’un lâche, à peur de se faire éconduire et renvoyer. Modeste Clatz est connue de tous et un seul mot d’elle l’empêcherait de trouver du travail sur La Rochelle. Pourtant il se sait honnête, il serait un bon mari et un bon père pour les enfants, car Il n’ai pas mû uniquement par le désir de prendre cette chair touchante et désirable, ni par la perspective de devenir patron à son tour. Il l’aime tout simplement et l’indifférence qu’elle lui témoigne le rend fou. Chaque nuit il brûle de désir pour elle dans la brutale vigueur de ses vingt ans. Le jour quand il se couche, il est encore fiévreux de son envie, il ne sait que faire pour que cesse son tourment.
Son compagnon de chambre lui file le parfait amour avec la bonne. Jean les trouve envahissant ses deux là, ils sont sans gène et sans pudeur. Cette grand bringue en rigole et le Jean Serre en brave couillon partagerait presque sa bonne fortune. Lui ne désire pas la patronne, la bonne bouille de la servante lui convient parfaitement, il la mariera dès qu’ils auront quelques sous vaillants. Lui fera des petits comme il façonne les miches de la mère Clatz. Il n’a aucune ambition né pauvre, il partira pauvre en ayant vécu humblement.
Mais le bêta a quand même deviné que son compagnon en pince pour la patronne. Il l’encourage en termes crus et la nuit dans la pénombre du fournil l’incite par des gestes obscènes a violenter la volonté de celle qui de toutes façon devra en passer par là. Pour lui autant hâter la chose.
Jean sait simplement une chose, il ne retournera jamais chez son père maintenant aubergiste dans la ville de Marans. Certes les affaires du paternel sont prospères car la ville qui sert de grenier à blé pour La Rochelle est florissante en commerce, mais autonome il est, autonome il restera. Il se dit après tout que sa patronne est riche par son premier mariage mais que son père qui est sabotier n’est par sorti de la cuisse de Jupiter. Ils sont donc finalement du même milieu, il se persuade qu’il va faire sa demande où qu’il partira si elle refuse. Il y a du labeur partout, pourquoi pas Rochefort avec son arsenal et ses navires qui croisent où alors partir pour la capitale qui s’agite au bruit d’un nouvel empire.