
Les prussiens perdirent le combat d’Autun du moins c’est ce que compris Louis dans le brouillard de sa conscience. Il ne sentait plus son pied et hurla de désespoir quand on lui apprit qu’il avait été amputé.
Dans les ambulances, les médecins et les volontaires furent débordés, pas de chloroforme pour les opérations, plus assez de charpie. Comme la douleur n’a pas de frontière on criait sa souffrance en toutes les langues, patois charentais, provençal, italien, alsacien, allemand. L’on mourait de la même façon que l’on fusse de l’une ou l’autre nationalité.
Pierre dans une salle de l’évêché, reconvertit en ambulance, gisait sur un simple matelas, il était encore dans le monde des vivants mais il sentait que doucement ses forces l’abandonnaient. Le peu de soin qu’on apportait à sa personne l’inquiétait un peu. Dans la brume de sa vie qui se terminait, il se souvenait vaguement qu’un médecin s’était penché sur lui puis qu’on lui avait bandé le ventre. Sa douleur était au delà du supportable mais que faire à part exprimer un léger râle de temps à autre , il n’avait pas l’impression qu’il allait mourir mais il flottait pourtant déjà entre deux mondes.
René Pierre Bigot fils de Pierre et de Marie Luce Daunis mourut le 2 décembre à 11 heures du matin, il n’avait pas vu un seul prussien excepté celui qui mourut à coté de lui.
Les médecins qui examinèrent Étienne firent grise mine, certes il avait repris connaissance et ne semblait blessé nul part. L’examen fut long et méthodique mais malgré leur science les doctes universitaires ne pouvaient pénétrer à l’intérieur du corps du soldat.
Ils étaient fort inquiets de ses contusions internes de ses chamboulements d’organes. Le vent du canon qui avait déshabillé Étienne, mieux que ne l’aurait fait une douce saunière, avait sûrement contusionné quelque chose, il fallait attendre, voir peut être même un peu prier.
Étienne aurait bien aimé voir ses copains, il ne savait ce qu’ils étaient devenus. Allongé dans ce qu’on lui dit être l’hospice d’Autun, il voyait à travers son regard flou s’agiter des sœurs en cornette. On s’occupait de lui, on le changeait avec abnégation, mais on ne le soignait pas. Un curé vint le voir et lui administra la prière des morts. Lui pensait que c’était prématuré, il aurait été bien mieux chez lui au bord du Fier d’Ars. Le 6 décembre à 22 heures il ferma une dernière fois les yeux pour ne plus jamais les rouvrir. Étienne Giraudeau fils d’Étienne et Eugénie Rault cultivateur saunier n’était plus.
Louis n’avait pas mal, à peine une sensation de gêne. Le médecin était confiant, une belle amputation malgré les conditions, du travail parfait.
Mais ce n’était pas la guérison qui inquiétait notre bonhomme, l’après le préoccupait beaucoup plus. Il avait conscience qu’il serait à jamais un bon à rien, un cul de jatte, une jambe de bois. Il ne pourrait plus caracoler à la côte, faire le galant, trousser les filles. Plus aucune ne voudrait de lui, c’était la longue vie des célibataires et des journaliers sans emploi, c’était la misère et la solitude.
Il voulait certes vivre, mais dans son fort intérieur une voix lui disait, mon pauvre Louis il faudrait mieux que tu partes. Le 8 décembre une septicémie se déclara, foudroyante, la nuit fut longue et douloureuse, le lendemain matin il y eut une petite rémission, mais rapidement il perdit conscience.
Louis Perrault mourut le 9 décembre 1870 à 14 heures à l’ambulance du Saint Sacrement
Jules le lendemain du combat tenta de se lever, pour aller faire ses besoins , il lui répugnait qu’une bonne sœur ne le lave. Un brin de dignité parmi tout ce malheur ne pouvait faire de mal. Aussitôt le pied posé au sol la tête lui tourna et une violente douleur lui traversa la poitrine. Son pansement se gorgea de sang. Le médecin n’apprécia guère la tentative et menaça de le faire attacher.
Jules Héraudeau apprit que les prussiens n’avaient pu prendre Autun et qu’ils étaient repartis d’où ils étaient venus. Pas en Prusse évidemment mais moins loin à Dijon. Par un mobile de Charente Inférieure il sut que Pierre, Étienne et Louis étaient morts. Sans qu’il puisse retenir sa tristesse , des larmes inondèrent son visage. Pourquoi mourir ici dans un pays inconnu, loin des siens, pourquoi cette vaine guerre où les intérêts de l’empire n’étaient pas bien définis. Jules se disait que c’était vraiment trop bête de crever à 20 ans alors il lutta. Les premiers jours il se crut vainqueur, le médecin avait enlevé l’éclat qu’il avait dans la poitrine, il n’y avait plus rien à faire, la nature ferait le reste, en enfant du sel et des marais il était de bonne constitution. Les salles de l’évêché se vidaient doucement, soit les copains sortaient sur leurs deux jambes soit entouré d’un drap blanc portés par des brancardiers qui se chargeaient de la sale besogne.
Chaque jour suffisait à sa peine, il faisait le mariole, faisait du gringue à une petite novice. Il se voyait sur sa prise son simoussi à la main. Il voyait l’ombre de sa mère portant sa câline et le chapeau de feutre de son père qu’il s’évertuait à faire tenir sur sa tête malgré le vent. Il entendait son petit cheval de bât si spécifique à l’île de Ré . Oui il voyait tout cela, puis il entendit les cloches de l’église d’Ars, c’était son mariage, la fête battait son plein, on dansait , on mangeait et lui s’éclipsait avec sa femme pour une folle nuit de noces. C’était bien cela qu’il voyait, qu’il entendait, qu’il percevait.
Le 14 décembre vers 7 heures du matin la sœur qui amenait le café le trouva mort dans son lit, il souriait.
Les quatre copains d’Ars arrachés de leur île, au mois d’août firent partis des 53 morts du combat d’Autun.
Garibaldi ce jour ne prit aucun risque pour sa personne et n’apparut pas. Ses bagages avaient été mis en lieu sûr et il ne perdit aucune de ses fameuses chemises rouges.
Sans le dévouement des Charentais inférieure, Autun aurait probablement été pris.
Le siège de Paris se poursuivit jusqu’au 26 janvier 1871, date à laquelle un armistice fut conclu.
Cette guerre avait fait chuter l’empire Français et fait émerger une république.
L’on perdit l’Alsace, la Lorraine et l’ indemnité de guerre fut de 5 milliards de francs or. Il y eut plus de 500 000 soldats faits prisonniers et environ 139 000 morts.
Le 8 février fut élue une assemblée nationale au suffrage universel, curieusement elle était de tendance monarchique. La Charente inférieure quand à elle resta longtemps Bonapartiste.
Autre conséquence,le 18 janvier Guillaume Ier roi de Prusse fut proclamé empereur dans la galerie des glaces de Versailles.
On ne retourna jamais à l’empire ni à la royauté, la France oscilla longtemps mais la troisième république dura du 4 septembre 1870 au 18 juillet 1940.
Cette guerre maintenant ignorée de tous, permit à l’Allemagne de devenir hégémonique en Europe et provoqua un esprit de revanche qui mena tout droit à la première guerre mondiale.
C’est comme un effet papillon, sans la victoire de Iéna sur les prussien en 1806 il n’y aurait pas eu la défaite française de Sedan ( ce n’est pas moi qui le dit mais le chancelier Bismarck ). Sans la guerre de 1870, il n’y aurait pas eu celle de 14-18. Sans la grande guerre il n’y aurait pas eu la folie de 1939- 1945 et tous les bouleversements qui ont fait le monde actuel.
Sources : registres état civil Ars en ré en Charente maritime et Autun en Saône et Loire.
Histoire générale de la guerre franco-Allemande 1870-1871 du Lt colonel Rousset
Le combat du 1er décembre 1870 à Autun, hommage aux vaillants défenseurs d’Autun
Blog, base documentaire artillerie
L’armée des Vosges et les Garibaldiens, de Louis Blairet.
merci pour ce triste cours d’histoire
que de jeunes sacrifiés
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