
Le lendemain la vie militaire commença par la prise en compte du paquetage, un pantalon bleu foncé alors que celui de l’active était garance, une tunique bleue droite et non marquée et un képi bleu avec un pompon.
Les quatre compères apprirent qu’ils seraient artilleurs dans la troisième batterie avec à leur tête le capitaine Renson.
Pierre comme tout le monde déplorait l’enchaînement de faits malheureux qui l’avait enlevé à ses pilots de sel pour l’entraîner dans cette caserne où il ne se sentait guère à sa place. Tout avait été très vite et seuls les pessimistes prévoyaient qu’un désastre soit possible.
En tous cas sur les rives du fier d’Ars, sur les sables du banc des bûcherons ou sur les bossis, l’on ne s’imaginait guère que l’empire de Napoléon III allait crouler comme un château de cartes ou filer comme du sable de la pointe des baleines dans une pogne de paysans.
Dans les journaux que ceux qui savaient lire; épluchaient pour ceux qui ne le savaient pas on avait appris que le trône d’Espagne était vaquant et qu’un prince allemand postulait pour la place. Pour les hauts responsables ils n’étaient pas question que la puissance prussienne qui rapidement s’installait, ne devienne par l’encerclement de notre pré carré une hégémonie totale et incontestée. Devant les grognements de la cours des Tuileries l’habile Bismarck qui tenait les ficelles de toutes ces marionnettes couronnées, recula. Ce ne fut que feintes, le prince président qui savait l’armée prussienne presque invincible ne voulait que la guerre. Il trafiqua un communiqué qu’on nomma la dépêche d’Ems et qui en ses termes outrageait la France.
Le 19 juillet 1870 ayant mordu à l’hameçon l’empire se fourvoyait dans une aventure dont la fin ne pouvait à tout bien réfléchir qu’être catastrophique.
Les réserviste d’Ars ne se sentaient pas vraiment concernés, et ne s’inquiétèrent en rien. Pourvu que le sel se vende et qu’ils puissent faire enfin la jointure et payer leurs dettes.
Par la presse, Louis apprit que la première bataille de la guerre avait eu lieu à Wissembourg, un nom bien mystérieux à la consonance germanique prononcée qui nous fit croire que nous avions pénétré dans le territoire de nos ennemis. Un gradé un peu plus instruit nous affirma que c’était en Alsace. De toutes façons Alsace ou Allemagne nos rétais n’avaient pas la moindre idée où cela se trouvait.
Mais après la première défaite il en vint d’autres, Saint Privat, le maréchal Bazaine bloquée dans Metz, puis le désastre de Sedan en la journée funeste du 2 septembre.
Bien sûr la bravoure des hommes ne fut pas à mettre en cause, non les responsabilités étaient ailleurs. Le commandement était d’une cruelle médiocrité, l’armée était mal préparée et mal dirigée. Les marches et les contres marches épuisèrent les hommes et le ravitaillement aussi mal organisé que le reste fit que le troupier souffrit de marcher le ventre vide et que les chevaux crevèrent de faim.
L’empereur neveu du grand guerrier n’était plus qu’un vieil homme malade, vivant un martyr d’être toujours en selle et impropre maintenant à prendre la moindre décision. Sa femme la Eugénie s’imagina d’être une impératrice régnante et ne prit pas forcement les bonnes mesures. Comme une charpente vermoulue l’empire s’effondra, le peuple se souleva et le 4 septembre la république fut proclamée.
Quelques uns érigèrent un gouvernement provisoire qu’on nomma gouvernement de défense Nationale. Le chef en fut le général Trochu, et l’âme le ministre de l’intérieur et de la guerre Léon Gambetta.
Nous en étions là Pierre et les autres n’en savaient guère plus sinon qu’il fallait poursuivre la lutte.
D’ailleurs on leur fit comprendre qu’ils leur appartenaient à eux gardes mobile de suppléer à l’armée active défaite et prisonnière. Le rêve de vivre leur réserve en regardant la mer auprès d’un canon de citadelle s’évanouissait.
L’instruction à peine terminée nos sauniers durent partir vers un monde qu’ils ne connaissaient pas, à peine eurent t’ ils le temps de déambuler dans la vieille ville et sur le port. Louis leur avait tant fait miroiter de choses, que les trois ignorants pensaient que les Rochelaises allaient se donner à eux comme une offrande au dieu de la guerre. Non le seul moyen de goutter aux charmes des hanches larges des filles à matelots était d’ouvrir son gousset, or celui de nos amis était désespérément vide. A peine purent-ils se repaître d’un repas dans une ruelle du quartier Saint Nicolas.
Les quatre Arçais n’étaient pas devenus des va-t’en-guerre mais l’on avait immiscé dans leur cerveau un esprit de revanche et de dévouement à la patrie en danger qu’ils étaient prêts en somme à périr pour celle ci.
Si l’on avait interrogé Pierre à ce sujet, il aurait répondu qu’ il pouvait concevoir de défendre son pays mais que te se faire casser la tête par un prussien n’était pas dans ses prévisions de vie. Étienne lui souffrait en silence, partagé entre son envie d’aventure et son envie de saunier. Jules lui s’appliquait en tout croyant, sans doute qu’en étant volontaire la corvée en finirait plus vite. Le plus optimiste restait encore Louis, il croyait que nos dirigeants républicains débarrassé des ors de l’empire rétabliraient la situation. Il se faisait tout un monde, il se voyait au bras d’une allemande dans les allées de Berlin. Il rêvait même de s’établir là bas avec une petite, un mariage mixte en somme. Il ouvrirait un petit commerce lui faisant oublier rapidement son île.
LES SACRIFIÉS DE L’ILE DE RÉ, PARTIE 1 LE DÉPART
LES SACRIFIÉS DE L’ILE DE RÉ, PARTI 2, LA CHAMBRÉE