LE COMMUNARD DE LA ROCHELLE, PARTIE 17, LA FIN D’UNE COURTE VIE

Trois mois plus tard, à l’évidence Agathe était enceinte. Le bonheur jaillissait comme une source au 11 de la rue Beausire, les deux Agathe faisaient des projets de layette, Auguste traînait chez des chineurs pour trouver un berceau.

Tout le quartier en parla, toute la famille fut prévenue, Auguste sur les chantiers ne parlait que de cela, au lavoir le cul en l’air et les mains dans l’eau toutes les femmes comparaient leurs grossesses, comparaient la grosseur de leur bébé.

Un soir sa journée presque faite,  Agathe porta un dernier panier de linge à une cliente dans la petite rue du musc qu’elle avait d’ailleurs plaisir à arpenter tant les souvenirs lui revenaient. Dans l’escalier alors qu’elle redescendait, elle sentit un liquide lui couler le long des cuisses et une horrible douleur lui cisailla le bas ventre. Elle porta la main entre ses jambes et vit avec stupeur que c’était du sang. Elle eut le plus grand mal à revenir chez elle, une douleur atroce l’obligea à s’aliter.

C’en était fini de ses rêves de maternité, cette fausse couche ruina ses espoirs et ruina sa santé. Une infection se propagea et pendant quelques jours ont la cru perdue. Auguste dépité, inquiet, se plaçait à ses cotés le soir en rentrant du travail. Il l’observait, la couvait du regard, encore amoureux. Elle était d’une maigreur effrayante et sa peau transparente la faisait ressembler à une statut de marbre voilée. Ses yeux hagards, cernés de poches noires, soulignaient la disparition de ses joues. Son visage n’était plus que mâchoire émaciée. Peu à peu cependant la nature se fit clémente, la fièvre descendit, les couleurs qui s’étaient retirées de son corps revinrent. La vie revenait au foyer d’Auguste, un soir il la trouva assise sur ses oreillers, un autre soir elle était debout. Puis un soir où il rentra tard Agathe était aux fourneaux, on fêta cette résurrection d’un petit vin aigrelet de Seine et Marne. Elle reprit son travail peu de temps après, le diable qu’il tirait par la queue depuis qu’elle ne ramenait pas de salaire allait enfin pouvoir poursuivre sa route vers d’autres pauvretés. Il se passa tout de même longtemps avant que le couple ne puisse faire l’amour.

Dans Paris les tensions s’apaisaient doucement mais pour sa part Auguste vouait une haine farouche au gouvernement. Ce n’était plus Thiers le boucher de Versailles qui était aux commandes mais le fantoche Mac Mahon. Les mains pleines de sang comme son prédécesseur, il n’était là que pour assurer le retour de la monarchie. Celà les ouvriers rouges ne le toléreraient pas. Auguste continua mais plus discrètement à se réunir avec d’autres qui comme lui croyaient en une internationale ouvrière.

Auguste parfois dans des moments de nostalgie racontait son enfance à La Rochelle, Agathe qui n’avait jamais quitté les rives de la Seine se prêtait à rêver de grand large. Elle voyait les tours Saint Nicolas, de la Chaîne et de la Lanterne qui se dressaient ensemble pour défendre l’accès de la ville blanche. Elle humait avec Auguste la vase et les odeurs marines du port à marée basse. Elle gouttait les huîtres que tous les Rochelais allaient pêcher à la pointe des minimes, elle s’immergeait dans les dédales des vieilles rues du port. Peut-être qu’un jour, ils iraient là bas, élever leurs enfants et chauffer leur vieux corps au soleil de l’Atlantique. Mais Auguste, qui à la vérité n’avait jamais cessé de tousser depuis son retour de prison, fut rattrapé par la maladie, les quintes étaient plus fortes, il maigrissait et son mouchoir constamment se teintait de rouge.

Un jour il se coucha et Agathe recommença ses veilles. La situation empira rapidement la tuberculose ne lâchait pas facilement ses prises même si là bas en Allemagne un médecin renommé se nommant Koch en avait découvert le bacille responsable.

Finalement ce ne fut pas à l’ombre protectrice des porches de la vieille ville de La Rochelle, ni sous les pierres blanches de Crazanne, des hôtels d’armateurs de la traite ,qu’il prit un repos mérité mais sous les amples ramages du cimetière du père- Lachaise.

Le 23 juillet 1877 alors que le soleil éclatait dans toute sa puissance sur les frondaisons du boulevard Saint Antoine, Auguste abandonna la partie. Dans les bras d’Agathe en un dernier sourire il s’en fut. Un petit convoi accompagna sa dépouille au jardin de repos. Non loin du mur où furent fusillés les derniers combattants de la commune on le glissa dans une fosse, pas de monument funéraire pour les pauvres, pas de couronne pour les ouvriers.

Un curé accepta de bénir le corps, Auguste ne croyait pas en Dieu, mais ne sait on jamais. Agathe pleura, Joachim le père regarda fixement sans broncher la dépouille de son fils descendre à la terre et Pierre le frère compagnon de jeunesse et témoin de mariage renifla en une inexpressive manifestation.

Agathe mère retrouva sa fille pour elle seule et l’appartement de la rue Beausire qui bruissait des cris de l’amour retrouva son lugubre silence.

Notre Rochelais avait 36 ans et Agathe qui le rejoignit en 1882 n’avait quand à elle que 35 ans.

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