
Auguste ne tient pas spécialement à monter au front, tenir une barricade, boire des coups, plaisanter avec les femmes qui amènent le casse croûte, oui, mais combattre des soldats expérimentés, il n’en a pas le moindre désir.
Seulement ce n’est pas lui qui décide et un beau matin on l’envoie renforcer la barricade de la porte Maillot. Il n’en mène pas large, qu’on s’imagine une avancée dans les lignes ennemies constamment bombardée et vous aurez simplement une vague idée. Les hommes tombent, on les remplace, mais le verrou tient et c’est bien l’essentiel. C’est aussi un véritable spectacle, un champs de foire où les gamins de Paris viennent jouer avec les éclats d’obus et où les femmes viennent exhorter les hommes à tenir. Elles apportent à manger, pansent les blessés dans des ambulances improvisées. Elles font preuve d’abnégation et sont sans pitié pour ceux qui flanchent . Un pauvre gamin qui n’a jamais vu le feu et qui a mal aux tripes est attrapé et battu. Pour un peu les mégères l’auraient fessé au milieu de la rue. Ce jour là le petit a eu plus peur des femmes que des prussiens. Auguste échaudé par le spectacle se tient coi et rentre la tête à chaque sifflement et à chaque explosion.
Le temps lui dure mais c’est en héros qu’il retrouve Agathe.Couvert de poussière, de gravats et même de sang, il titube de fatigue. Son chassepot n’a pas tiré une seule fois mais peu importe sous les canons versaillais comme les autres, il a tenu. Un éclat de pierre lui a entaillé le visage, sa chemise est teintée de rouge, Agathe croit qu’il est moribond et le soutient pour monter dans sa chambre. Il en profite, se pavane devant sa belle, conte maintenant des exploits imaginaires. Elle lui nettoie sa plaie, lui enlève sa chemise ensanglantée. Il perçoit qu’il va poursuivre son avantage et se laisse dorloter, mais péremptoirement elle décide qu’il a besoin de se reposer et regagne l’appartement de sa mère.
Lorsqu’elle monte l’escalier du sombre immeuble où elle gîte depuis toujours, un soldat la bouscule, il est grand, âgé d’une quarantaine d’années, son pantalon rouge tranche sur l’obscurité de la cage encrassée, il s’excuse de l’avoir frôlée et continue sa cavalcade vers le bas, la lumière et la sortie.
Lorsqu’elle pénètre dans son chez elle, sa mère bizarrement s’y trouve, elle est en chemise, les cheveux en désordre, le feu aux joues et un sourire radieux. Agathe fille a compris que Agathe mère a un galant. Elle n’a jamais pensé à une telle chose, mais pourquoi pas, sa mère est femme. Elle est seule depuis plusieurs années, Agathe ne sait si elle doit interroger sa mère sur le sujet. Elle choisit plutôt de lui conter les exploits d’Auguste. Elle sourit à sa fille ne croyant rien des rodomontades de son futur gendre qu’elle considère un peu comme un raté.
On apprend par les journaux, par la rumeur, par ceux qui en reviennent que peu à peu les Versaillais ont enfermé Paris et les tiennent sous leurs canons.
Chacun se fait un peu stratège en son quartier, on devrait, on aurait dû. Auguste comme les autres a une idée. Pourtant la capitale ne donne pas forcément l’image d’une ville assiégée, hormis bien sûr les quartiers sous le feu des Versaillais. Les théâtres sont encore ouverts, il y a des concerts, les restaurants servent encore. Sur les quais les jeunes ouvriers fricotent avec les blanchisseuses, les gardes nationaux désœuvrés errent dans les rues à la recherche d’une bonne fortune. Les artisans sur le pas de leur porte attendent l’ouvrage. Puis toujours les membres du comité central, ceux de la commune et du comité exécutif palabrent et palabrent encore dans les salles enfumées de l’hôtel de ville.
Aucune personnalité ne surnage, aucun militaire qui tel un nouvel Hannibal rejetterait les troupes de Thiers. C’est le vide du commandement, le vide de la décision, les jours passent, l’étau se resserre.
Le 16 mai Auguste sans trop savoir comment, se retrouve place Vendôme où l’on a entrepris de briser la colonne où domine le symbole de l’empire, de l’état et de la guerre.
L’opération est longue, laborieuse, il trouve le temps long, est- il si difficile d’ abattre la statut d’un tyran. Auguste se désaltère à la régalade avec un groupe d ‘ouvriers au chômage. Sciée à la base, tirée par un cabestan, enfin Napoléon chute, le vacarme est épouvantable, la poussière s’élève, les cris de joie montent. Les spectateurs sont disparates, des concierges en tablier, des gamins au nez morveux, des catins aux jupons relevés qui veulent récompenser les ouvriers de leurs efforts, des bourgeois en chapeaux haut de forme, d’autres avec des melons et des ouvriers en casquette.
Les nationaux loin des tirs des versaillais se gaussent en posant leurs pieds sur la tête du mort de Saint Hélène, il y a même des marins gouailleurs qui se serviraient bien de la liesse pour entraîner quelques bonnes filles sous une porte cochère.
En effet Auguste le ressent, la mort, la peur, attirent l’amour. Partout des couples se forment, sur les barricades dans quelques coins reculés, des femmes s’offrent même aux soldats. Là bas un drapeau rouge sert de lit à un amour rapide. Tous entendent profiter avant la fin qu’on pressent inexorable.
Auguste en une sorte de bacchanale, se voit bien prendre et Agathe et Angèle, il hésite sur les corps, hésite sur la direction à donner à son cœur. La folle Angèle grande et forte en gueule ou la diaphane Agathe tendre et dévouée. L’une est presque sa femme l’autre a été son amante et son initiatrice, il brûle pour les deux.
LE COMMUNARD DE LA ROCHELLE, PARTIE 10, LES DRAPEAUX ROUGES
LE COMMUNARD DE LA ROCHELLE, PARTIE 9, LES CANONS DE MONTMARTRE
LE COMMUNARD DE LA ROCHELLE, PARTIE 8, LES OUVRIERS ROUGES