LE COMMUNARD DE LA ROCHELLE, LE PREMIER MOUVEMENT

 

En ce lundi 9 août 1869 la foule a envahi les rues de Paris, ils sont des milliers, peut être des dizaines de milliers à battre le pavé parisien.

Il est là ce peuple d’ouvriers, d’artisans, de domestiques et de petits bourgeois qui répond à l’appel des députés de la gauche qui siègent au palais Bourbon.

Chacun juge qu’il est temps d’abattre l’empire, de prendre ce pouvoir vacillant, de tendre les bras et de retrousser ses manches pour construire une république.

L’empereur n’est plus qu’un jeune cacochyme, ombre de lui même, à 57 ans il est déjà un vieillard .

L’illustre neveu ne peut plus guère monter à cheval, on dit qu’il n’arrive plus à pisser. Les yeux toujours mi clos, les traits tirés, il se laisse porter par une situation qu’il ne maîtrise plus.

C’est l’espagnole en jupon qui semble mener la danse, la Montijo, les ouvriers semblent la haïr. Dans les tavernes on en rigole, l’un veut la foutre à la seine, un autre veut la renvoyer en Espagne et un plus inspiré encore la fesserait publiquement au milieu du jardin des tuileries. Bref cela sent la haine bien qu’elle ne soit en rien responsable de la faillite de l’empire.

Toujours de plus en plus nombreux, ils convergent de partout, il y a de tout, c’est une tour de Babel des métiers, des cordonniers, des ferblantiers, des bijoutiers, des peintres, des monteurs en bronze, des coiffeurs, des blanchisseuses, des couturières, écrivains de rue, bimbelotiers, employés de commerce. C’est divers, il y a des tenants de l’internationale, des socialistes de Bakounine, des sans avis. Mais tous aujourd’hui ont un un point commun, le renversement, la mise en accusation des ministres, Émile Olivier en tête. Il fait chaud, l’on boit aux fontaines, mais aussi dans chaque bistrot, la chaleur et l’alcool ne font guère bon ménage, à tout moment il peut y avoir un drame, l’armée est en arme, menaçante, aux ordres, prête à tirer. Les soldats tiennent les carrefours, les grandes places, les ponts, si il y a mouvement cela va être un massacre.

On chante la vieille Marseillaise, mais aussi des chants bons enfants, des complaintes populaires, c’est un peu une foire, un carnaval, un divertissement. Beaucoup vont perdre leur journée, peut être même leur travail mais qu’importe c’est pour la liberté. Les jours qui viendront seront meilleurs, le pain sera blanc et la piquette se transformera en bon vin.

Beaucoup de femmes dans les cortèges, elles encouragent leurs hommes, maris, frères, fils et amants. Elles sont virulentes, excitent les ouvriers à la violence, les traitent de lâches. Une là bas, poissonnière de son état relève ses jupons devant les militaires goguenards, tout est encore calme mais le moindre commandement d’un officier nerveux pourrait tout faire basculer.

Agathe la veuve Mazein comme la surnomment ses connaissances est là dans toute la splendeur de ses quarante cinq ans, une haute stature, les épaules larges, les hanches généreuses et des fesses rondes qui font siffler les ouvriers sur les chantiers. Son visage de veuve ressemble à celle d’une madone, rien n’est commun dans ses traits. On s’étonne dans la rue qu’elle n’ai pas repris un mari. Ses yeux gris acier feraient chavirer n’importe quel cœur, ses pommettes rouges coquelicots indiquent à qui veut regarder sa bonne santé. Le nez fier et droit saille comme une proue au dessus d’une bouche charmante. Dans son immeuble on lui prêterait bien quelques aventures, quelques jeunes potaches du marais ou quelques boutiquiers en recherche de tromperies conjugales.

On fait cercle autour d’elle et un groupe de peintres qui vient de rejoindre le défilé lui lorgne son avantageux arrière train.

Elle n’y prête pas attention et ne se retourne pas se contentant de sourire. Auguste un peintre en bâtiment qui se trouve là faisant corps avec ceux de sa profession, émet un mâle et retentissement sifflement. Elle ne bouge toujours pas, mais irritée, une grande ficelle les cheveux fous et défaits, se retourne subitement. Ses yeux d’un bleu pâle, réprobateur fusillent l’importun, c’est celle qu’on appelle la grande Agathe. Longue comme un jour sans pain, la poitrine d’une petite fille. Un visage éthéré qu’encadrent des mèches de cheveux blonds, évadées d’un chignon échafaudé à la hâte. Agathe est la fille d’Agathe mais tout son contraire, la mère est pulpeuse et fraîche encore, l’autre est maigrelette et encore en friche. Sa mère en leur intimité l’appelle Clotilde de son deuxième prénom, ceux qui les connaissent tous deux les différencient, Agathe la mère, Agathe Clotilde la fille.

La furie qui s’est retournée pour fouailler du regard celui qui manque de respect à sa mère est aussitôt absorbée par le visage de l’ouvrier siffleur. Leurs yeux se neutralisent, aucun des regards se baisse, c’est une lutte, un instant Clotilde paraît vouloir mordre griffer, gifler, lui impassible lui oppose maintenant le plus beau des sourires. Puis comme par magie ses yeux glaçant deviennent océan et un sourire lui éclaire son visage. Pour le jeune peintre, elle n’est plus pâle comme une morte, elle n’est plus insignifiante, mais elle est l’émanation d’une beauté bizarre encore inconnue de lui.

 

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