
Le quatre janvier 1768 Jeanne mit au monde un autre garçon, tout se passa à merveille, comme on dit le chemin était fait. Étienne Abraham accepta d’être le parrain et on donna son prénom à l’enfant. Retenu pour affaire il fut représenté à l’église par Charles Suppet un laboureur du domaine.
La marraine fut Magdeleine Hermouet femme Groux. Les mères n’étaient jamais présentes pour le baptême de leur enfant, impure elle devait attendre de faire leurs relevailles.
Jeanne avait donné quatre fils à Simon, elle entendait n’être plus prise avant un bon moment. Mais il restait le devoir conjugal à accomplir et même si parfois elle en éprouvait un grand plaisir, elle se serait bien passée de cette corvée qui irrémédiablement menait à l’état que toutes les femmes redoutaient.
Jeanne maintenant entreprenait Simon pour quitter une si humble demeure. Elle qui avait connu la pièce unique et la terre battue voulait maintenant un château. La bête au jupons terreux devenait altière et dure avec les autres et en particulier avec sa sœur Marie. A la vérité cette dernière lui faisait honte. Peut être une réponse inconsciente à la honte qu’elle suscitait dans les yeux de sa belle sœur Sara.
Il n’était bien sûr aucunement question d’un changement de résidence, Simon se partageait entre La Rochelle et Fouras et Jeanne se partageait entre Fouras et Fouras.
La vie s’écoulait donc dans un nuage de félicité toute relative, Jeanne avait du mal à faire oublier l’ancienne madame Gauvin, elle ne serait jamais complètement identifiée comme une notable mais n’était plus, non plus une paysanne. Elle souffrait de tout cela et se lançait dans une surenchère auprès de son mari. Elle voulait ce qu’aurait voulu une femme bien née. Pour un peu elle aurait eu le désir d’être reçue à la cour de Versailles.
En juin 1768 le couple éprouva une faille dans le bonheur, Étienne leur petit, celui qui le premier de son ventre qui fut d’une union sacrée par Dieu et vraiment reconnu comme un Gauvin par la fratrie avait décidé de jouer un mauvais tour à sa mère.
Un matin la nourrisse le trouva couvert de boutons, elle palpa son front et le trouva bien brûlant.
Le petit se mit à hurler et refusa le sein. L’enfant plutôt goulu en temps ordinaire ne voulut rien prendre. Il s’endormit finalement, mais la fièvre ne semblait pas baisser. Jeanne décida de faire prévenir son mari qui se trouvait chez son frère à Mortagne la vieille. La situation empira, on fit venir le praticien qui l’avait fait naître. Mais celui-ci impuissant ne put que déclarer, il faut que la maladie sorte , que les boutons deviennent purulents.
Simon qu’on avait réussi à joindre arriva à brides abattues. Il ne put que constater que son fils était mort, Jeanne à genoux en prière avec le curé Thalamy. Simon prit sa femme dans ses bras et tenta de la consoler d’une peine inconsolable. Le curé qui enterrait des enfants à longueur d’année réduisait cela à un jeu naturel de bascule entre la vie et la mort.
Les parents prenant ce fait pour une fatalité n’étaient cependant pas dépourvus de tristesse pour autant. La mort appartenant à la vie et le malheur marchait bras dessus bras de sous avec le bonheur.
On enterra le petit corps dans le cimetière, Jeanne refusa de venir, Simon accompagné d’Henri son beau frère et de quelques employés du domaine suivirent le triste convoi. Seule la nourrisse versa des larmes, le curé fit sa cérémonie et chacun retourna à ses occupations. En ce mois d’août le travail sur les terres ne manquait pas.
En fin d’année 1768, une double bonne nouvelle arriva, Marie Sautereau femme Bourdajeau et Jeanne Sautereau femme Gauvin étaient toutes les deux enceintes.
Pour les deux sœurs si différentes et si différemment mariées l’occasion était unique de se rapprocher, la gestation était la même chez les riches comme chez les pauvres. Certes Marie devait travailler à la terre et Jeanne devait surveiller ceux qui travaillaient la terre. Au niveau pénibilité la comparaison n’était pas à faire. Jeanne considérait que venant de la terre, elle connaissait par cœur la fourberie de ceux qui n’avaient rien et que par là il fallait être sur leur dos en permanence. Bref, dans son intérieur cossu, elle était bien plus fatiguée que sa sœur qui elle aidait son mari à toutes les tâches paysannes.
Les deux portèrent à merveille, Jeanne avait acquis une beauté de statuaire, elle portait son gros ventre comme une offrande. Ses traits à peine tirés resplendissaient de sa trentaine qui se profilait. Simon en était plein de désir, toujours plein de cette fougue qui avait renversé les convenances.
Cette femme grosse de ses œuvres il en avait envie en permanence, il la poursuivait sans cesse en rigolant d’un rire affectueux. C’était devenu un jeu, le cerf qui poursuivait sa biche Jeanne regimbait parfois mais sûr de la tendresse des gestes de Simon elle s’abandonnait le plus souvent.
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 12, LA MAITRESSE JEANNE
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 11, UNE INSULTE À LA MAJESTÉ SEIGNEURIALE
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 10, LA MORT DU DEUXIÈME ENFANT NÉ DE LA CUISSE GAUCHE