
Simon devint un paria au sein de sa société et de sa famille, on lui avait même fait comprendre qu’il ne devait pas paraître à l’hôtel de la monnaie.
Jeanne qui avait un fond d’intelligence supérieur sut se faire petite, elle ne sortait plus guère, restait confinée au logis, le terme allait bientôt arriver.
Le 6 février 1762, un brouillard à couper au couteau recouvrait le village d’un linceul de fin tissu, la vie semblait s’être arrêtée. Mais au contraire au logis de Simon c’était un branle-bas de combat désordonné, le maître hurlait des ordres et des contre-ordres. Madame Jeanne, comme la petite servante l’appelait, venait de perdre les eaux, il fallait faire vite et quérir maître François Simon Moreau le chirurgien. Il se passa un long moment avant que le praticien n’arriva avec Marie Glaude qui allait l’aider.
Moreau fit asseoir Jeanne et demanda à ce qu’on la cale avec des oreillers, il l’examina et hocha la tête, son visage marquait une inquiétude qu’il avait transmise à son aide. Le col était bien dilaté mais l’enfant se présentait mal. Il allait devoir faire pivoter l’enfant mais il ne maîtrisait guère la technique, plus habitué aux amputations de membres sur les marins de la flotte de Rochefort.
Marie Glaude qui était la promise au chirurgien Berland et bien que non sage femme officiel avait déjà pratiqué ce genre de retournement se proposa. Il en allait de la vie de la maman et du bébé.
Finalement au bout de la nuit et dans un épuisement complet, Jeanne mit au monde un petit garçon.
Simon fut fou de joie, Jeanne avait peur qu’au dernier moment il ne renia l’enfant et la jeta à la rue avec son mauvais fruit.
Bien sûr le petit n’était pas issu d’une union devant Dieu, mais simplement une union des corps, ce n’était donc qu’un enfant naturel et pour le monde qui l’entourait un petit bâtard.
Le curé Étienne Thalamy accepta de baptiser le petit, il était ami de Simon et de toutes les façons ne pouvait laisser un enfant sans les sacrements du baptême. François Moreau le chirurgien accepta d’être le parrain et Marie Anne Glaude devint la marraine. Simon lui donna les prénoms de François et Étienne. Le premier en l’honneur de celui qui le portait sous les fonds baptismaux et le second car c’était celui du premier né de la lignée.
Jeanne du fond de son lit n’entendit pas sonner la cloche pour le baptême de son fils, la coutume était la coutume, on ne sonnait pas pour un enfant illégitime. Elle en fut mortifiée, vexée mais finalement se résonna, Simon avait reconnu l’enfant et peu importait le quand dira t’on.
A la grande horreur de la famille cette naissance n’avait pas marqué la rupture entre les deux amants. Au contraire Simon et Jeanne devenaient indissociables.
Quelques jours plus tard Jeanne vit arriver Sara la sœur cadette, elles ne s’étaient jamais rencontrées.
La sœur n’était pas là pour lier des liens ou pour des mondanités, elle hurla, tempêta, menaça de la jeter dehors. Elle était hors d’elle que Jeanne ait donné à son rejeton, fruit du diable le prénom des hommes de la famille. Jamais elle ne consentirait à fréquenter cette pauvresse, cette femme qui traînait au ruisseau et qui par un machiavélisme démoniaque avait séduit son frère.
Jeanne effrayée, se sentant petite face à cette dame que la terre ne portait plus ne put rien répondre et se mit à pleurer. Si Simon n’était point arrivé, Sara aurait pu la faire jeter à la rue par ses gens.
Tout le personnel du logis d’ailleurs se serait félicité de voir l’intruse dehors avec l’enfant du diable . La jalousie de ces vils gens ne leur permettait pas de voir que l’élévation de Jeanne était aussi un peu la leur.
Simon avait commis l’impensable de reconnaître cet enfant de fille d’étable. François Étienne Gauvin, fils de Simon, toute la lignée d’ancêtres assurément se retournait dans sa tombe.
Heureusement il y eut une justice à la morale, le fruit de cet amour contre nature se fana rapidement. Cet enfant avait longtemps hésité à sortir du ventre de sa mère, alors de longs jours il hésita également à vivre. L’inégalité entre la mort et la vie se révéla le 12 mars 1762, Jeanne qui inquiète de ne pas l’entendre réclamer sa tétée, du bout de ses doigts hésitants ne toucha qu’une dure statue. François Étienne sans un cri, sans faire de bruit avait abandonné un monde où son statut aurait toujours fait débat pour un autre monde que l’on disait paradisiaque.
Abraham et Sara jubilèrent de concert et montrèrent un peu trop leur joie à Simon. Bien sur ils n’assistèrent pas à l’inhumation, la présence de Jeanne à coté de Simon, tête haute en noire vêtue les en empêchait. De toutes façons ce n’était qu’un enfant et cela ne valait guère une longue course.
C’était regrettable mais il n’y avait pas à en faire une montagne, la nature organisait elle même son équilibre. Il y avait autant d’enfants qui mouraient que d’enfants qui vivaient. Les petits des riches ne survivaient pas plus que les pauvres et c’était bien la seule égalité qui leur était accordée.
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 6, LE VENTRE ROND DE JEANNE
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 5, LA SERVANTE PREND DE L’ASCENDANT
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 4, LA CROIX PROTESTANTE
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 3, LES CRAINTES DE JEANNE
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 2, LES GAUVIN DU MAGNOU
UN AMOUR FOURASIN, PARTIE 1, SIMON GAUVIN