CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 22, LA HAINE FÉMININE

Louise rentre chez elle, elle est outrée par ce qu’elle vient de voir, certes elle savait que Rose entretenait une relation avec Charles mais elle pensait encore à une amourette d’enfants. Elle ne sait encore ce qu’elle va faire mais une certitude frappe son esprit, Rose doit disparaître de la maison, disparaître de la rue de l’Escale. Toute la soirée elle se tourmente, elle est malade de rage, se retient d’aller lui arracher les yeux. Elle cherche un châtiment, se voit attraper Rose par les cheveux pour les lui arracher. Elle se voit lui déchirer ses vêtement et la jeter nue à la concupiscence des gens de la rue. Elle voudrait la fouetter comme on fouette une gamine désobéissante dans un pensionnat. Elle n’arrive pas à dormir, s’énerve, voudrait rejoindre Charles dans un lieu secret . Elle doit sauver son amour. Demain, elle dénoncera la putain, la catin, la diablesse qui lui vole son homme. Elle s’endort sereine, oui demain sera un autre jour, sera sa vengeance, sera sa délivrance.

Rose ne se doute absolument pas que Charles est tombé sur Louise en descendant, elle s’occupe de Madame, l’aide à se déshabiller, lui prépare une infusion. Madame Bredif est en veine de confidence et lui parle du temps passé, de sa fille Lidie et même de son défunt mari. Rose pourtant curieuse n’a pas la tête à cela, elle est sur le nuage de la découverte amoureuse, elle a résisté longtemps de peur d’une grossesse mais maintenant elle s’en fiche.

Enfin elle peut monter se reposer, elle s’allonge et se met à rêver. Elle tente de retenir les effluves du parfum corporel de Charles, se remémore la grâce divine de son odeur merveilleuse. A ce souvenir une envie folle lui vient, elle se retient de crier le prénom de son amant de l’appeler de la lucarne borgne qui donne sur la rue silencieuse.

Le matin Louise rejoint ses parents qui déjeunent à la tasse, son père est déjà sanglé dans son habit de promenade et sa mère qui n’ a pas les mêmes impératifs est encore dans son déshabillé nocturne.

Rose avec son air imbécile qu’elle prend quand elle sert, vient juste d’amener le lait de Madame et le Café de Monsieur. Tous lèvent la tête de surprise, car Louise n’est pas coutumière d’un lever si matinal. Son père la regarde drôlement, elle est pieds nus, en chemise et en cheveux.

Louis n’a plus vu sa fille en si légère tenue depuis son enfance, c’est presque une indécence, une bretelle est tombée et l’on aperçoit la naissance d’un sein. Élisabeth qui voit le trouble de son mari prend la parole  » mais ma fille que faites vous en pareille tenue, allez donc vous vêtir c’est par trop gênant ».

Louise ne bouge pas et leur explique  » savez ce que j’ai vu hier soir  » Louis pose son journal et Madame sa tasse, Rose fait un pas en arrière pour disparaître tout en voulant connaître la suite.

 » Eh bien la Rose de madame Bredif fait monter des hommes dans sa chambre ».

L’officier renaît aussitôt en Louis,  » c’est pas possible, la catin, la putain, oh la malpropre, je m’en doutais avec son air de sainte ni-touche »

Élisabeth qui par définition trouve que les domestiques sont des êtres méprisables dit à son mari,  » il nous faut prévenir Madame Bredif et sa mère Madame Bernon ».

C’est à moi de les prévenir, ce n’est pas une histoire de femme c’est trop grave dit Monsieur à Madame. Il oublie sans doute un peu vite que lui aussi visite des dames en cachette et qu’il lorgne les fesses de la dite Rose à chaque fois qu’il la croise. Lui a sans doute le droit, il n’est pas un vil domestique, une race de sous hommes et de sous femmes. Il y a d’ailleurs fort peu de temps qu’on leur a attribué le droit de vote, c’est dire. Élisabeth serait bien venue avec son mari rien que pour voir la tête de Zoé Bredif. Elle la déteste cordialement mais amicalement d’autant qu’elle suspecte son mari de vouloir lui faire du bien.

Rose qui a tout entendu se précipite et par solidarité va prévenir sa compagne de misère. Elle connaît la méchanceté de ses patrons et leur faculté de nuisance. Rose qui porte le même prénom et qui a le même âge que sa petite camarade comprend très bien ses envies, d’ailleurs un soir elle aussi a fait monter son amant marin.

Rose pâlit et manque de s’évanouir, Marie Desroche et sa fille Magdeleine aident Rose Vivien à la remettre sur pieds. Elles décident toutes par solidarité de classe de soutenir la future condamnée. Il n’y a pas mort d’homme et Madame Brédif est une brave femme.

On décide Rose d’aller se confier à elle et de tout lui dire avant qu’elle ne l’apprenne par ses voisins. Rose ne veut pas, elle a honte.

Elle est maintenant tête baissée devant sa maitresse, Madame Brédif est une fervente protestante qui ne badine pas avec la gaudriole. Elle écoute les aveux de sa servante, n’en perd pas une miette. Elle ne dit rien et semble méditer, rien de bien bon ne peut sortir d’un tel mutisme. Puis d’un seul coup elle se met à rire, elle ne s’arrête plus, Rose est stupéfaite. Zoé sans se départir de son rire dit à Rose  » enfin un peu d’animation dans cette maison, ma petite Rose je vous envie d’avoir un amoureux, c’est de votre âge ».  Je vais attendre de pied ferme ce vieux cochon de Babin, à mon avis il ne sait pas que je sais tout de ses promenades et de ses visites ».

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