CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 21, LA FLEUR DE ROSE

Rose vit maintenant un amour passionné avec Charles, ils se voient presque tous les jours, du moins quand Madame Bredif autorise sa domestique à sortir. Mais même quand il n’y a pas permission, les deux amoureux arrivent à s’apercevoir ou bien à se croiser. Un simple effleurement de doigts, un sourire, un petit mot et ils se satisfont de ce que l’aimable coordination du moment leur donne.

Ils n’ont pas encore fait l’amour, Rose est réticente à cela, la peur d’une grossesse et la perte de son emploi la tétanise. Tout son corps en a envie c’est une certitude et chaque fois que Charles l’embrasse ou la caresse tout son être doit lutter. C’est un combat qu’à chaque fois ,elle est contrainte de reprendre. Si Charles était plus téméraire il y a longtemps que sa vertu aurait été jetée aux orties. Ils ont tous les deux traversé une rude épreuve après que Charles eut été vu chez la Louise Babin. Bien qu’il ait eu du mal à fournir une explication très claire sur sa présence là bas, elle lui a pardonné sachant que la vieille Louise, bourgeoise desséchée et prude comme une nonne n’a strictement aucun charme. De plus comme l’eau et le feu, le petit peuple ne se mélange pas avec les grands et les riches. Du moins pas pour des choses honnêtes, il y a fort à parier qu’une bourgeoise ne pose jamais ses yeux sur un décrotteur de rue. Souvent c’est la rue de l’Escale qui leur sert de cocon, ils sont tous les deux chez eux, à l’abri sous les anciennes arcades lorsque le père Daviaud, le père Martin et le père Mareschal ont rangé leur pratique. Dans l’anonymat des amoureux appuyés sur un pilastre séculaire, s’embrassent et se racontent leur futur. Ils vont économiser et se marier, fonder une famille, la vie sera belle.

Un soir n’en pouvant plus et sachant que sa maîtresse Madame Bredif est en soirée, elle fait rentrer Charles dans la maison, tous les deux en rigolant et en se faisant des niches montent l’escalier principal, puis l’escalier de service qui monte au galetas.

Éclairé par une simple lucarne la soupente est minuscule, un lit bateau en noyer minuscule couche, est comme niché le long d’un mur mansardé. Un petit coffre en bois vulgaire cache les quelques vêtements de la domestique. Une table avec une cuvette et un broc pour la toilette. Un savon où perlent quelques gouttes d’eau de la toilette du matin. Dans un coin sans que Rose ne s’en aperçoive tant son trouble grandit au contact de Charles, trône le pot de chambre de faïence. Enfin elle le voit et rougit, morte de honte de dévoiler ainsi une bien laide intimité. Il perçoit son trouble et la rassure en allant le pousser dans un endroit moins visible. Ils sont gauches, ne savent maintenant quoi faire. Les deux s’assoient sur le lit, se tiennent les mains, s’embrassent, se frôlent, ils ont conscience du moment, celui où tout bascule ou l’enfance tombe son masque et qu’on revêt celui des adultes. Charles ne se décide pas à franchir le dernier obstacle. Rose a peur que leur inexpérience soit un frein à l’exaltation de leur désir, elle se décide, faire ce qu’une femme ne doit pas faire, prendre l’initiative. Lentement, comme avec prudence elle dévêt Charles de ses vêtements et de ses lambeaux de pudeur. Elle découvre son corps d’homme avant que lui ne découvre le sien. Elle n’a plus conscience de grand chose lorsque maintenant elle se déshabille et s’offre au regard de son jeune amant. Elle a le sentiment lorsque chaque vêtement tombe sur le sol et que sa nudité apparaît, d’être déjà prise, déjà aimée. Comme Eve et Adam au premier jour ils se rejoignent, leur virginité s’est envolée vers un irrémédiable voyage. Ils pourront refaire ces choses des milliers de fois, jamais cela ne sera pareil. Rose est un peu déçue de la rapidité de l’acte mais devant l’air heureux et satisfait de Charles elle n’en souffle mot. Déjà elle est prête pour une nouvelle aventure quand elle entend venu du fond de la rue, le bruit caractéristique de l’équipage de Madame. Les chevaux hennissent toujours au même endroit. Elle pousse hors du lit Charles puis rapidement sans ordre se rhabille pour accueillir puis coucher Madame.

Charles ne doit pas se faire surprendre ici, il descend quatre à quatre les marches, mais comble de malchance tombe nez à nez avec la grande Louise. Pas un mot n’est échangé mais le regard meurtrier que lui lance celle qui le désir,tue Charles sans coup férir. Un froid lui a parcouru la nuque, il sait que les ennuis vont arriver, il sait que la rue de l’Escale va être son premier tombeau, la première marche vers la montée d’un Golgotha

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