CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 20, L’IMMINENCE D’UN MALHEUR

 

Presque en face de chez les Mareschal,  la succession se poursuit,  c’est affaire de notaires et de scribouillards et les os de Madame Vincent se purifient dans la terre grasse du cimetière de Saint Éloi. Il y en a trois qui ne sont guère à la noce, Marie Maingrin a pleuré toutes les larmes de son corps lors du décès de sa maîtresse. Un moment elle a cru que le frère de Madame la prendrait à son service, finalement il n’en est rien et comme ses deux acolytes, elle a quitté la rue de l’Escale un beau matin avec son maigre bagage. Personne n’a pris soin de lui demander où elle allait et c’est le cœur gros qu’invisible au service de Madame elle l’est encore lors de son départ solitaire.

André Baumers et Geneviève Clion décident de rester ensemble et de se marier dès que leurs finances le permettront. Dans un premier temps ils trouvent un toit chez les parents de Geneviève, c’est provisoire car André n’est pas du genre à vivre sans problème dans l’intimité de quelqu’un même si il est de la famille. Déjà qu’il étouffe avec Geneviève même si cette dernière subit sans broncher ses frasques, ses beuveries et ses infidélités. Monsieur Emmery n’a pas voulu leur donner une lettre de recommandation, alors Geneviève redevient lingère avec sa sœur Madeleine et Baumers traîne sur le port, boit beaucoup et travaille peu.

Ils sont bien décidés tous les deux à ne pas revenir rue de l’Escale où de toutes façons ils ne sont pas attendus. Des nouveaux voisins certainement mais en attendant leur arrivée,les volets sont clos.

Eugène Martin s’est disputé avec Rose, elle ne veut plus aller dans la remise. Elle se refuse à lui dire pourquoi et cela le met dans une colère noire, à cet age l’amour est exclusif et possessif. Lui se languit de la chair de son amie, son corps se consume de fièvre de ne pas la saisir dans ses bras. Il fait son travail salement et n’a qu’une hâte c’est de la rencontrer. Son père lui gueule dessus et menace de le mettre dehors. Curieusement François le patron le défend alors que normalement il est plutôt dur.

Un soir il lui propose sa soupente, elle ne veut évidement pas car Eugène la partage avec ses frères et elle ne veut pas que sa liaison se sache. Il est dépité, peut être qu’elle ne l’aime plus, il veut en avoir le cœur net.

Un soir la drôlesse le met au parfum, elle ne l’a jamais vraiment aimé au sens strict que l’on peut donner au mot mais a pour lui une sorte de tendresse. Lui qui finalement pensait qu’après lui avoir donné son corps elle lui donnerait sa main est bien mari d’apprendre cette déconvenue. Rien n’y fait, aucune supplication, aucune larme, la petite Rose veut passer à une étape supérieure dans le plan de sa vie. Un employé de la préfecture lui fait depuis quelque temps la cour, il ne s’est rien passé mais Rose sait qu’elle cédera en temps et en heure. Pour l’instant ne pas se faire remarquer dans la rue et surtout pas par François Daviaud. Si ce dernier parlait à madame Lidie ou pire à monsieur, elle serait renvoyée avec son baluchon séance tenante.

Justement monsieur Étienne est prêt à repartir à Aix la Chapelle, les affaires toujours les affaires. Lidie est dévastée, bien qu’en l’épousant elle savait par avance qu’il serait absent souvent, elle ne peut se faire à l’idée de le voir partir. Ils ont passé finalement très peu de temps ensemble depuis leur union. Ce qu’elle redoute ce sont les soirées en solitaire, quand le bruit de la rue a cessé, quand les domestiques allument les premières chandelles, quand Mary Lidie est couchée et qu’elle n’entend plus sa voix encore incertaine. Certes sa vie mondaine ne s’arrête pas en l’absence de son mari, elle va chez sa mère et fréquente son salon, papote avec les dames qui fréquentent sa grand mère.

Elle se rend aussi au théâtre où la bonne société se retrouve sans qu’on y prête à conséquence. Madame Admyrauld est d’ailleurs chaperonnée comme il sied, par des membres de sa famille ou de sa belle famille. Les Admyrauld appartiennent à la ville de La Rochelle comme les deux tours du port, la grosse horloge où la tour du Perrot.

Non, ce qui répugne le plus à Lidie c’est de se glisser dans un lit froid et de se blottir dans des draps qui ne seront pas froissés par des joutes amoureuses. Lidie aime attendre dans l’obscurité que son mari rentre de son cercle, elle l’entend alors se dévêtir, elle perçoit cette odeur forte de cigare qui imprègne ses vêtements, elle se noie dans les effluves de cognac qui émane du souffle d’Étienne. C’est alors en général une reproduction de leur nuit de noces, tempétueuse et sublimement charnelle. 

Oui tout cela va lui manquer et Dieu sait si elle aurait voulu aussi être grosse des œuvres de son homme et lui faire par courrier la surprise de l’annonce.

Mais il y a bien pire que tout cela, l’autre jour alors qu’elle priait au temple, que son esprit était à Dieu et qu’elle était tombée dans une sorte d’extase, une ombre noire était passée fugacement sur le chemin de sa méditation. A y bien réfléchir cette apparition pourrait être elle. Comme une idée que l’on se repasse cette fluidité intemporelle se transforme peu à peu en une sombre réalité.

Alors que son mari n’a certainement pas encore franchit les frontières de la Prusse, elle a la prescience que l’apparition qui la hante n’est autre qu’elle même habillée en grand deuil. Depuis ses nuits sont cauchemardesques, elle crie, elle hurle et pour se calmer demande à Rose de coucher sa fille dans sa propre chambre. Elle n’ose se confier à personne et surtout pas à son mari de ce qui la tourmente, mais un jour elle n’y tient plus et en parle simplement à sa domestique Élise qui en bonne fille opine de la tête. La différence entre les deux femmes est abyssale socialement mais Élise est une bonne oreille et surtout une femme dotée d’une intelligence remarquable. Elle démonte une à une les appréhensions de sa maîtresse et sait lui rendre confiance.

Cependant Élise, si elle joue les bonnes fées, n’en a pas moins ressenti elle même un trouble. C’est absolument fugace, imperceptible, mais une sorte d’angoisse l’a étreinte. Un malheur va arriver, sans qu’elle puisse déterminer le danger exact. Sa maîtresse va mieux mais elle va plus mal, attendre et prier ne la soulage guère. Elle s’ouvre du problème à Rose qui du haut de ses seize ans et de son athéisme lui rie au nez.

Elle essaye que son service n’en soit pas affecté mais la présence de Madame ravive l’imminence du malheur.

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