CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 17, LA CHAMBRE MORTUAIRE

 

La nouvelle de la mort de Madame Vincens se propage rapidement, une indiscrétion de domestiques, des allers et venues qui maintenant augmentent au fur et à mesure que l’on sait. Il y a même encombrement de voitures, le tonnelier râle car lui qui empiète toujours sur la chaussée doit se rabattre pour laisser passer les beaux équipages.

Les sœurs Mareschal offrent leurs services, mais Marie dressée maintenant en cerbère, a ordre de ne laisser personne entrer  hormis les connaissances proches et la famille.

Les sœurs rouspètent car elles se considèrent comme des amies, ce qui d’ailleurs est à proprement parler est vrai.

Une rumeur idiote maintenant circule, le Baumers y serait-il pour quelque chose, tout le monde à son avis là dessus . C’est irrationnel pour sûr car Madame était poitrinaire. Le vieux Babin en ancien gendarme serait même d’avis d’appeler la force publique, ce n’est qu’une vengeance car le domestique a plusieurs fois été irrespectueux avec lui.

Baumers évidement n’a rien à voir avec la mort de Madame, ce n’est qu’un jeune domestique pas assez tenu, irrespectueux et profiteur. En attendant il n’en mène pas large et attend à la cuisine les ordres. Il redoute un renvoi qu’il sent imminent.

Geneviève et Marie à leur grand désespoir ont été réquisitionnées pour la toilette mortuaire. Sous les ordres de Madame Emmery, la belle sœur et de madame tante Adèle Weiss femme Fort, elles vont devoir œuvrer. Geneviève n’a jamais fait cela, elle est jeune et a peur de la mort, pourquoi ne pas payer pour ce service. Marie a d’ailleurs appris que les sœurs Mareschal se proposaient pour aider. La famille a décliné, elles sont catholiques et Madame et protestante. Les deux domestiques ne voient pas trop le rapport avec l’acceptation de cette aide avant tout chrétienne mais là, les secrets de famille et l’intimité mortuaire ne doivent pas être partagés avec des étrangers. Entendons que les deux servantes n’en font pas partie non plus, mais qu’elles ne sont après tout que des domestiques et qui sont autant partie prenante que le mobilier de la chambre.

Bien, il faut se dépêcher, Madame n’attend pas, pas plus dans la mort que dans la vie elle ne supporte le moindre retard. Là c’est la rigidité cadavérique qui arrive rapidement, habiller une planche de bois et laver une bûche glacée n’est pas trop difficile. Il faut faire vite, les hommes sont sortis de la chambre et boivent un remontant apporté par Baumers. Les femmes dévêtent la morte de ses vêtements de nuit. La fixité de la mort augmente la maigreur du corps et rend étrange le corps fier qui hier encore rouspétait son monde. A l’aide d’une éponge précautionneusement pour ne pas casser les frêles membrures de cet oiseau décharné, Marie lave d’une eau purificatrice Madame Emmery, femme Vincens. Même si Marie connaît le corps de Madame il y a en elle une forte gêne de la voir nue à son insu. Bien qu’elle ne soit plus femme mais cadavre, la toison grisonnante et la poitrine amenuisée rappellent qu’elle en fut une autrefois et cela perturbe la pauvre domestique au delà de ce qu’elle aurait pu penser.

Enfin après maintes difficultés, elle repose habillée de sa plus belle robe et de son plus beau bonnet. Sa tante lui a fermé les mains sur sa petite bible. La veillée va pouvoir débuter et le défilé ostentatoire de la bonne société rochelaise pourra commencer.

Louis Delmas le pasteur est là assis sur une chaise en prière, il est venu dès qu’il a su,  presque en voisin. Il alterne les moments de recueillements avec les moments de discutions, presque en familier, il reçoit le beau monde des négociants, le monde politique de la ville et bien sûr les autorités. L’on dit même que le préfet va rendre visite.

Il se joue dans cette pièce plongée dans l’obscurité quelque chose d’irréel, de fantasmagorique, de beau.

Les cierges encadrant le corps gisant, dansent au gré du souffle des visiteurs qui se recueillent . Élise le visage reposé est belle, on peut lui donner bien moins que son âge. Faisons abstraction de sa mort et imaginons qu’elle fut nue et Madame feue serait une statue de Michel Ange, une peinture de François Boucher presque désirable. Mais le temps chaud de septembre fait bientôt  son œuvre. Des ouvriers installent une tenture noire sur la façade de la maison et au cimetière saint Éloi, des fossoyeurs ouvrent la fosse familiale. Élise va rejoindre l’homme qu’on lui a donné jadis et qu’elle a aimé de tout son cœur ainsi que sa chère fille Louise partie bien trop tôt.

La chambre mortuaire se transforme peu à peu en salon littéraire, en assemblée politique, en réunion mondaine. Madame Babin au bras de son mari, habillée en noir comme une fraîche veuve, madame Zoé la vieille habillée de blanc comme une mariée, madame zoé la jeune vêtue comme une châsse, toutes babillent comme au théâtre. Quand aux hommes la tentation est trop forte de ne pas parler politique, où ira le Bonaparte, que feront les chambres, que dira l’opinion.

 

CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 16, L’AGONIE DE MADAME LA SOUS PRÉFÈTE

CEUX DE LA RUE DE L »ESCALE, PARTIE 15, MADAME SE MEURT

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