CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 14, MONSIEUR LE NÉGOCIANT

 

Étienne Louis Admyrauld vient de rentrer chez lui, le voyage qu’il a effectué en Allemagne est terminé. Il aime ce genre de périple mais il aime aussi reprendre possession de sa demeure, c’est la balance entre obligation et bien être. De toutes les façons il n’a guère le choix, sa maison de négoce se porte très bien mais au prix évident d’un travail acharné.

Le commerce des eaux de vie et plus particulièrement celui du cognac en ce milieu de siècle se développe à une vitesse faramineuse, les grandes maisons de cognac se créent le long de la Charente. Il y a de l’argent à se faire et Étienne entend bien réaliser de juteux profits. Autour de La Rochelle tout est vigne et toutes les vignes donnent de l’or. Étienne qui est avant tout un héritier, né avec une cuillère en or dans la bouche entend bien se faire un prénom et porter le nom des Admyrauld au firmament des affaires et pourquoi pas de la politique.

Entendons par là, qu’il se verrait bien dans les pas du prince président et que sa Lidie ne déparerait pas à ses bras lors d’une soirée dans un ministère.

Pour l’instant il est associé en affaires avec son jeune frère Pierre Gabriel et avec Édouard Charruyer, tout marche pour le mieux et outre le traditionnel commerce avec les pays du nord la vente des eaux de vie aux États Unis fait bondir leur chiffre d’affaire.

Justement celle ci est rentrée la veille de la campagne de La Laigne, elle a du remettre un peu d’ordre, car sa servante la petite Rose n’a visiblement pas accomplit les taches demandées. Encore une fois elle doit sermonner l’impertinente, des gifles à n’en pas douter se perdent, que ne peut-on plus faire donner le fouet à sa domesticité. Tout se perd, l’irrespect gagne et des domestiques qui autrefois comme un noviciat choisissaient une famille pour ne plus la quitter ne se gênent plus maintenant pour en changer.

En tous cas la Rose si elle part avant qu’on ne la congédien n’aura pas de lettre de recommandation.

Tout porte à croire que Lidie a cueilli la mauvaise Rose, car sa mère avec la sienne n’a pas de problème pas plus que les Babin avec la leur.

Heureusement Élise leur seconde bonne est plus docile. Seulement ce n’est qu’une godiche qui facilement se laisse avoir par la dévergondée qui partage sa chambre.

Lidie est fière que son mari se préoccupe un peu de leur fille, il a même joué un peu avec elle avant qu’elle ne soit emmenée par la servante. Lidie qui donne le sein a en rougissant ouvert son corsage pour que la goulue se rassasie. Étienne a trouvé le tableau charmant et s’est fait la réflexion que la soirée serait bonne.

Il entend bien profiter des charmes de sa femme, car le corps de cette dernière lui manque et lors de ses absences il ne profite nullement des charmes qui se présentent à lui. Le serment de fidélité qu’il avait prêté à sa femme au temple protestant de la Rochelle devant une assemblée fort nombreuse lui semble inviolable . Il est vrai qu’à Hambourg lors d’une soirée mémorable il avait failli succomber à la légèreté d’une jeune veuve. Un hasard plus que sa résistance avait fait qu’il ne s’était finalement rien passé. Sa moralité toute imprégnée de l’enseignement des pasteurs avait bien manqué d’être ébranlée. Il connait bon nombre d’hommes dans son entourage et sur les bancs du temple qui ne s’embarrassaient pas des mêmes contraintes, la fidélité ne devant après tout que s’appliquer aux femmes.

Le soir après le souper, la petite Marie Lidie couchée et les domestiques retirés, Étienne son verre de cognac à la main observe l’animation de la rue qui peu à peu diminue. Encore quelques instant et le silence sera quasi total, l’imprimerie de Mareschal est close et le maître des lieux comme pour constater qu’il faut enfin cesser le travail, se tient un instant sur son seuil. D’un sonore  » bonne nuit  » il salut le tonnelier Daviaud qui avec son fils finissent de ranger quelques barriques.

Étienne se fait la réflexion que c’est grâce à des gens comme lui que le petit peuple des artisans devient prospère. Il rage du peu de respect et de remerciements que ses vils portent à leurs bienfaiteurs.

Imprégné du goût suave du breuvage brun il pénètre dans la chambre conjugale, Lidie n’a laissé qu’une faible chandelle et il la devine immobile dans la pénombre. Ces retrouvailles charnelles après un long moment d’absence sont comme une redécouverte à chaque fois. Elle est tremblante, docile, comme une jeune épousée, son éducation ne lui permet pas de prendre une initiative en la matière. Ce n’est pas une catin de port, une paysanne animale ou une ouvrière délurée qui fait des choses dégoutantes, elle est soumise et fera comme son mari le voudra.

Lui, sûr de sa supériorité se dévêt lentement, il sait qu’elle le regarde, son désir augmentant à mesure qu’il s’imagine que son effeuillage suscite l’envie de sa femme.

Il se glisse maintenant dans sa couche, la rue de l’Escale est silencieuse comme un cimetière, l’éclairage publique est éteint et seule la lueur qui danse sur la commode va éclairer leur ébats. Lidie moralité oblige, se refuse à être entièrement nue et surtout à montrer une quelconque parcelle de chair. Mais Étienne ce soir n’a cure de ses pudibonderies de diaconesse, il la désire sans artifices de dentelle. Finalement ce qu’homme veut, la chemise chiffonnée pleine des odeurs de désir de Lidie gît comme un trophée au pied du grand lit. Tout est volupté et amour, les corps se mélangent et le devoir conjugal prescrit par les ministres du culte réformé, se transforme en une récitation amoureuse et poétique.

Demain est un autre jour et Étienne reçoit la seconde femme de son père.

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