CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 12, LES DÉSIRS DU VIEUX

 

En descendant le vaste escalier de pierre, Louis Babin croise sa voisine Zoé, comme à chaque fois Louis a un petit pincement et se dit que cette veuve est encore bien agréable à regarder et qu’elle pourrait gémir dans ses bras . Bien sûr les convenances l’empêchent de l’aborder mais il s’imagine qu’à l’égal des hommes, les femmes ont aussi des pulsions amoureuses. Alors peut être que cette citadelle avec des défenses amoindries pourrait se rendre sans trop de combat.

Il aborde donc madame veuve Brédif et lui souffle quelques banalités, puis quelques plaisanteries. Elle semble réceptive à l’humour cavalier du vieux militaire, du moins le croit-il.

Ils sont interrompus par la domestique Rose Vivien qui revient du marché.

Louis est maintenant troublé, il pense remonter pour souffler des mots doux à sa femme, mais en cette fin de matinée contre toutes les habitudes acceptera-t- elle de souffrir un rapprochement physique. Car une routine s’est imposée au cours des années. Madame ne s’ouvre à monsieur que le dimanche matin, ils font bien sûr chambre à part et son dégoût de le voir arriver en simple chemise, échassier au maigres pattes, à l’embonpoint affirmé, au jabot parsemé de poils blancs n’est compensé que par la rapidité avec laquelle il fait sa petite affaire.

Nous sommes le mardi, Madame est déjà apprêtée pour sa journée et jamais grand Dieu elle ne soulèvera son cotillon hormis pour pisser. Il lui reste donc ce qu’on nommerait sa pratique, une petite à la cuisse légère, maquée avec un marin pécheur qui est la plupart du temps en mer et ne lui apporte que des horions à son retour.

Bien sûr la petite n’est pas gratuite, mais le prix de la fraîcheur n’est finalement pas si élevé. De plus la garce sait si prendre et lui procure des sensations que sa femme n’a jamais soupçonnée. Elle en profite certes un peu, lui soutire plus que convenu, le fait chanter un peu et parfois même l’humilie. Seulement elle aussi à ses jours et il n’est pas question que le vieux ne l’approche en dehors des moments convenus.

Cela l’agace et il part sur le port afin de calmer ses humeurs et se mettre en appétit. Toutes ces femelles, il s’en doute, le prennent pour un vieux gâteux.

André Baumers au détour d’une porte vient d’entendre madame Vincens parler à son frère Édouard Emmery, ce qu’il a entendu ne lui plait guère car cela concerne sa personne. Si il entend bien profiter de la maladie de sa maîtresse, passer du temps à se goberger, il ne se considère pas pour autant comme un mauvais serviteur. Lui mise plutôt sur la bonté de Madame et éventuellement d’un petit don testamentaire lorsque cette brave femme viendra à lâcher la rampe. Il tombe de haut et prend un peu peur. En substance Madame se plaint d’être mal servie, voir volée. André panique un peu, monsieur Édouard est une personnalité, c’est un propriétaire, ancien officier d’artillerie, officier de la légion d’honneur et maire de la Rochelle de 1842 à 1848, il habite sur le port anciennement rue de la Bourserie dans une très belle maison. Une seule parole de lui et il peut se retrouver au bagne, c’est injuste, la fainéantise n’est pas un crime et aimer les bonnes choses non plus. Mais soit qu’il ait mieux à faire ce jour là ou bien qu’il ne croit pas sa sœur, l’orage de vient pas. Il devra faire attention.

Au dernier étage Geneviève se dispute avec Marie, leur chambre est contiguë et cette dernière en à marre des nuits galantes de Geneviève. Chaque soir Baumers en cachette monte rejoindre son amante, ils ne sont pas discrets. Ces chamailleries à répétitions vont bien finir par alerter quelqu’un. Il faudrait faire évincer cette sainte nitouche trop honnête. Ce n’est pas parce qu’on est dans la domesticité qu’on ne doit pas s’accorder du bon temps et qu’on ne doit pas tenter de s’élever au dessus du commun en soutirant quelques avantages à une bien bonne maitresse très malade. L’on pourrait même pousser la charité chrétienne en abrégeant les souffrances les plus criantes, André et Geneviève en parlent entre eux mais un fond d’humanité subsiste chez ces deux profiteurs. Au risque d’être entendus par l’espionne et dénoncés, ils ne doivent d’ailleurs plus énoncer de tels propos. La rue de l’Escale n’est pas un coupe gorge, ni une cour des miracles, on est entre gens biens et Madame Vincens vu son état ne tardera plus longtemps a retrouver son mari au cimetière de Saint Éloi, à quoi bon précipiter les choses.

 

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