CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 11, LE TONNELIER DAVIAUD

 

 

A sa fenêtre comme les attendant, Louise Babin fulmine de voir arriver Rose et Charles main dans la main. Un sentiment de jalousie la submerge, il faut que cette idylle cesse. Il faut agir avant qu’il ne soit trop tard. Sa mère l’appelle, il faut qu’elle se calme, surtout ne rien montrer de son trouble.

Ne rien montrer, de cette idiote passion d’une vieille fille pétrie de bourgeoisie pour un gamin décrotteur de rue. C’est finalement stupide, jamais sa société n’accepterait un tel mélange, une honte certainement, une vilenie, une chute vertigineuse. Puis elle se dit qu’elle est d’une sottise sans nom, jamais elle n’a essayé de le conquérir, jamais elle ne lui a adressé la parole, pourquoi n’essayerait-elle pas de jouer de ses avantages pour le ravir à cette gourde sans charme ni fortune.

Toute la nuit elle y pense, se retourne, s’endort, puis se réveille les sens en émoi . Elle qui jamais n’a eu le moindre contact avec un homme ,s’étonne d’en désirer un. Elle a envie de ce gosse, mal peigné, mal lavé, non éduqué, elle veut comme s’encanailler.

Elle veut être prise comme une bonne dans un recoin d’escalier, elle veut se faire trousser dans la paille d’une écurie malodorante.

Mais ce n’est pas tout, se ressaisir, faire comme ceci , faire comme cela, aujourd’hui ils reçoivent leurs amis Godet, Louis Babin va pouvoir faire la conversation à Auguste Godet, qui est avoué, Élisabeth va éplucher avec madame Godet les potins de la ville et Louise devra chaperonner le fils Augustin, un pédant de dix huit ans qui a tout vu et tout fait. Comme si son age l’autorise à faire la conversation à cet enfant encore à l’école.

Par amitié pour la famille Godet elle va jouer le jeu, mais sa pensée va à son décrotteur et à sa rivale.

En regardant l’héritier de la famille Godet, elle s’imagine son Charles revêtu avec élégance des mêmes habits, quelle allure il aurait, elle en frissonne.

Ayant joué son rôle, Louise se réfugie dans sa chambre , elle est chamboulée et demande à Rose de lui monter un bouillon. A peine a t’ elle prononcé le prénom Rose qu’elle s’avise que toutes les bonnes qu’elle connaît porte se prénom honni. Elle interroge d’ailleurs la sienne aussitôt .

  • Savez vous Rose si la domestique de madame Brédif fréquente ou si elle a un galant.

  • Je ne sais madame, moi les affaires des autres ne m’intéressent guère.

  • Oui évidement j’aurais du m’en douter , vous ne savez jamais rien

Rose savait très bien au contraire que son amie en pinçait pour le fils Martin, mais connaissant la méchanceté de sa maîtresse elle préfèrait rester muette.

François Daviaud en ce jour chômé traîne un peu au lit, il y retient son épouse Élisabeth. Elle sait ce qu’il a en tête et minaude un peu avant que de se livrer à un jeu dont le moindre qu’on puisse en dire est qu’il n’est pas d’innocence. Ces deux là malgré les années s’aiment d’un amour passionné, la petite Angèle qui dort encore non loin d’eux dans son petit lit est là pour en témoigner. C’est le dernier fruit de leur amour, un cadeau qui vient sur le tard, presque trop tard pour François qui lui se serait bien contenté de son fils Frédéric âgé maintenant de 12 ans et qui va, il en est sur, reprendre un jour la tonnellerie. La nature en avait décidé autrement et madame Daviaud en est enchantée, sa fille est une bénédiction. Sa vie est idyllique, les affaires sont prospères et François s’entend à merveille avec Charles Martin son associé.

Lorsque monsieur Admyrault rentrera d’Allemagne ils lui parleront des difficulté qu’ils ont à honorer le contrat des nouvelles barriques tant le bois de chêne a augmenté. La concurrence se fait sentir avec l’expansion des vignes et l’agrandissement des marchés qui font la fortune de bons nombres d’habitants de la rue de l’Escale et des rues environnantes.

François espère qu’au temps où arrivera sa vieillesse il pourra se retirer en une campagne et acheter un peu de biens avec bien sûr quelques pieds de vigne.

Le lieutenant de gendarmerie en retraite Babin est à son bureau, il tente d’aligner quelques mots sur une feuille blanche. Si les idées fourmillent dans sa tête, les mettre en forme en un français digne de ce nom afin que ses mémoires puissent intéresser d’éventuels lecteurs, est autre chose.

Il trempe sa plume dans l’encrier, l’approche de son joli papier d’Angoulême, mais rien ne vient. Il s’énerve, se lève et va chercher querelle à sa femme. Tout cela est réglé comme du papier à musique, elle essuie la tempête comme elle sait le faire depuis si longtemps.

C’est un sanguin, un énervé. Elle, n’est que soumission, c’est dans sa nature, déjà elle se soumettait à son père , courbait l’échine quand il se mêlait de son éducation.

On l’avait mariée à ce jeune militaire, qui présentait toutes les références pour devenir un bon gendre. Il avait de l’instruction, un peu de biens et  était de bonne famille et avait surtout une belle ambition.

Personne ne s’était soucié d’elle et personne ne s’était soucié de savoir si il ferait un bon mari.

Elle avait été jetée dans sa couche pratiquement ignorante des choses de la vie. Sa mère le jour de la noce l’avait simplement avertie de certaines choses. Ce fut bien peu et elle se rappelle de son effroi lors de sa nuit de noces.

Maintenant qu’elle a vieilli son sentiment reste le même, elle ne sait toujours rien. Cela la travaille un peu et à l’aurore de sa vie de femme elle  aimerait qu’une dernière tempête l’entraîne vers un nouveau rivage.

Il est reparti sanglé dans ses certitudes, lui a asséné une multitude de reproche. Il va faire sa promenade ou sa patrouille comme aime à dire sa fille.

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