
Charles Martin avec son balai, les voit passer en équipage ou alors les observe lorsqu’ils se pavanent sur l’allée du mail, là bas derrière le grand parc en dehors de l’enceinte militaire.
Peu lui importe, son bonheur il le voit ailleurs, il est amoureux de la bonne des Brédif, elle s’appelle Rose, elle est d’une beauté à couper le souffle. Son frère qui a vu le manège et qui devine que Charles devient complètement gâteux à chaque fois qu’elle passe devant lui dit » elle n’est pas pour ta couenne, un bourgeois va te la prendre dans un coin et te la rendre grosse. »
De fait Charles n’a pas un sou vaillant en poche, ce qui est gênant pour monter un ménage et de plus, est le plus idiot des idiots devant une femme. Son jeune frère Eugène est bien plus déluré que lui et il croit que ce dernier à une aventure avec la sale gosse aux Admyrauld. La petite Robert n’a que seize ans, elle est dit-on, d’une propreté douteuse et d’un courage au travail limité. Elle a l’assurance d’une douairière et le physique d’une sauvageonne.
Eugène sans qu’on sache réellement si il en rajoute un peu, si réellement il a pris possession de ce jeune corps ou si simplement il fabule, décrit à son frère lors des soirées le corps de la jeune bonne.
Charles écoute son frère décrire les courbes de la jeune Rose. Cette concordance des prénoms l’amène à imaginer que la description est celle de sa Rose et non pas de la Rose de son frère.
Son imagination divague les deux femmes sont différentes mais comme lui n’a jamais vu la sienne nue, il se coule dans la description hypothétique de celle de son frère. Puis quand ce dernier devient graveleux, irrévérencieux, ordurier, il se fâche, la sienne n’est pas comme cela, ce n’est pas une sale drôlesse qui se couche à tout va, c’est une princesse qui attend celui qui la mariera.
Puis un jour sans qu’il le veuille il se trouve nez à nez avec elle, il ne peut faire autrement que de lui adresser quelques mots. Des peccadilles sans doute mais juste assez pour que dans un rêve il convienne d’aller se promener un dimanche lors du jour de repos de Rose.
Le roi n’est pas son cousin, il divague, s’imagine, concocte des attitudes, tente d’emmagasiner des répliques. Il essaye de se forger d’avance une attitude.
Enfin le jour est arrivé, Charles attend Rose devant la maison, madame Brédif l’a autorisée, elle a jusqu’au soir. Revêtue de sa plus belle robe, rayée de bleu et de blanc, un joli tablier et sa plus belle coiffe, elle est ravissante. Il émane d’elle un parfum de pureté qui chamboule Charles. Lui, c’est fait beau, dans sa sous pente, sous l’œil goguenard de son frère, il s’est rasé au plus près et a fait une toilette sévère. Eugène bien sûr s’est moqué en lui disant que les femmes aiment les hommes aux odeurs fortes, aux senteur épicées et que du parfum de la rose n’émane pas la moindre masculinité.
Il a décidé de l’emmener vers le mail et la plage, il n’ose rien pour l’instant et c’est en silence qu’ils cheminent vers le chemin qui va leur permettre de franchir la porte de deux moulins. En ce dimanche ils ne sont pas seuls, beaucoup de couples et des bandes d’ouvriers et d’artisans libérés de leurs obligations.
Charles et Rose se font un peu bousculer par des jeunes qui font les pitres , mais tous deux décident de longer la langue de sable au bout de la jetée. Il y a déjà du monde, il n’est pas question que les deux amoureux se baignent, mais les pitres de tout à l’heure franchissent le pas. Deux, que la pudeur n’effleure pas se dévêtent complètement et nus se jettent à l’eau, c’est formellement interdit et les pouvoirs municipaux font la chasse aux trublions. Un couple de bourgeois est outré, un attroupement se forme, Rose qui a pris la couleur d’un coquelicot se délecte de voir ces ouvriers dans le plus simple appareil se jouer des vagues. Intérieurement elle envie cette liberté masculine, cet acte masqué de puissance, elle aussi se verrait bien courir nue dans l’eau ou flâner dévêtue sur le sable chaud. A ce rêve elle rougit de plus belle. Charles gêné l’entraîne plus loin sur la promenade du mail, ils verront tout à l’heure si l’endroit a retrouvé de la sérénité pour se tremper les pieds. Sous les ormeaux de la promenade il y a foule, des belles apprêtées comme pour aller au spectacle, des enfants proprets qui gambadent dans leurs jupons immaculés et des messieurs avec cannes aux pommeaux d’ivoire qui tels des jards gardant leur troupeau, se lèvent du col et paradent. Ils sont agacés de croiser un monde plus vil qui malgré la toilette du dimanche n’a pas la même palette d’odeurs que leurs mains blanches gantées.
Le petit peuple promène ses amoureuses, ils sont légions ces couples futurs qui lentement remontent en direction du hameau de Richelieu.
Un moment pressé par la foule, Charles prend la main de Rose, elle ne la retire pas c’est comme si déjà il lui faisait l’amour.
Sur la gauche il y a le bâtiment des bains Marie Thérèse, Rose payerait cher pour y pénétrer et se prélasser dans une baignoire d’eau chaude salée ou bien descendre telle une reine vers les cabines de plage qui comme des totems de couleur se dressent pour protéger l’intimité des baigneurs qui se changent. C’est dur quand on fréquente les gens de la haute en vidant leurs pots de chambre de se dire que des endroits leurs sont réservés. C’est injuste, Rose sait que toutes ses dames sont faites comme elle, que tous les mois la nature indifférente gêne autant la domestique que l’épouse du négociant. Elle sait aussi que Dieu les a faites toutes identiques, même physique, même maux. Alors pourquoi leur épiderme jouirait-il dans ces bains de lame, alors qu’elle ne peut que faire semblant de se mouiller avec l’eau de la bassine qu’elle a remontée elle même du puits. Charles, les bains Marie Thérèse il s’en moque , il s’est déjà baigné sur la petite plage et dans l’anse de chef de baie. Contournant la loi lui et ses frères étaient aussi dans le plus simple appareil, il est vrai qu’il n’y avait pas de spectateurs et que l’endroit est moins fréquenté.
Les bains Marie Thérèse ont été construits en 1827, cela attire du monde et du beau, mais il y a encore une catégorie au dessus avec les bains Jaguenaud. Ceux là sont placé un peu plus haut presque en face de l’ancienne digue construite par les ingénieurs de Richelieu pendant le siège qui a vu la chute de la grandeur Rochelaise.
Là bas, il y a salle de spectacle, hôtellerie, salle de bal et surtout deux piscines utilisables à marée basse . C’est encore plus cher qu’aux bains Marie Thérèse.
Devant les bains, noyé dans la foule dense de ce jour chômé, Charles a enlacé la taille de Rose, elle ne l’a pas repoussé, la chose s’est faite naturellement. Peu à peu elle entre en sa possession, ils ne se connaissent pas où alors si peu. Ils remontent en direction des bains pour riches, des belles en équipage descendent des voitures. Cela ne les intéresse plus, ils veulent maintenant l’intimité des amoureux. Après , c’est le plus rien, la ville s’éloigne, ils sont seuls et enfin donnent libre cours à la parole. Cela vient en flot, leur enfance, leur jeunesse, leur famille, leur patron, tout y passe, Rose se révèle une sacrée bavarde, Charles s’en amuse, il ne peut guère placer de mots tant le verbiage de Rose est dense. Lui est taiseux, alors il s’évertue à l’écouter et surtout ne relâche pas l’étreinte de son bras autour de sa taille.
C’est énervé d’amour qu’ils rentrent rue de l’Escale, il n’ont pas basculé dans l’autre chose que la connaissance, pas même un baiser, mais ils savent déjà qu’ils s’aiment.
CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 9, LES QUATRE CÉLIBATAIRES.
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