
Au 20, chez l’imprimeur c’est le sacro-saint rituel de la promenade de mesdames, les sœurs de Monsieur. Depuis le matin cela se chamaille, l’une veut le pot chambre, l’autre de l’eau chaude, la plus vieille a perdu son peigne, l’autre pleurniche car elle a ses menstrues. Tous les jours c’est un peu la même chose, amplifiée quand elles vont au marché couvert, à la messe ou qu’elles répondent à une invitation de salon.
La pauvre Joséphine Garnier domestique de toutes ces dames ne sait plus où donner de la tête. Elle répond au mieux à toutes les sollicitations mais n’a pas quatre mains. Les vieilles filles comme on aime à les nommer, dans la rue ont une attitude vipérine et sont pleines de méchanceté.
Joséphine se dit qu’elle ne restera pas dans cette place car elles vont la rendre folle.
Lorsqu’en fin elles ont fait toilette, se sont parer comme des châsses, elles descendent enfin.
Dans la rue à leur apparition il se fait comme un silence, les tonneliers cessent leur travail, le soldat s’arrête, les servantes qui reviennent de la fontaine s’immobilisent et les typographes du patron passent leur nez à la porte.
C’est un troupeau de pucelles, dit le vieux Babin, c’est une cohorte de grenouilles de bénitier dit un autre, elles sont habillées à l’ancienne mode, bloquées dans les défroques de la restauration. Les plus avisés disent qu’elles sont légitimistes et que c’est sans doute pour contrarier leur frère qui lui serait quelque peu rougeoyant et libertaire.
Le tableau est prêt, elles savent qu’elles sont observées s’en gaussent un peu, toujours dans le même ordre la procession commence.
Zoé, Adélie, Delphine, Lidie, la plus âgée à cinquante deux ans et la plus jeune quarante six, elles ne sont pas hideuses, elles sont instruites, elles ont du bien, alors on parle. Pourquoi aucun galant, pourquoi aucun mari, c’est le mystère de la rue de l’escale.
Zoé semble commander à cette troupe bizarre qui d’un pas lent et presque cadencé se dirige vers la cathédrale où il est prévu qu’elles se confessent. On s’interroge sur les pêchés que pourraient commettre ces filles cloîtrées dans le célibat, un peu de gourmandise pour l’une, un peu de méchanceté pour une autre à moins qu’une mauvaise pensée n’est traversée l’esprit à l’une d’elles lors d’une longue nuit sans espoir. A moins qu’elles se persuadent d’en avoir commis pour prétexter d’une ouverture sur le monde.
C’est un peu le désespoir de Gustave que de n’avoir pu susciter de l’engouement autour de ces jolis partis, maintenant que les années ont passé les chances se réduisent à moins qu’un veuf ne veuille faire preuve d’un esprit de découvreur et ne tente la découverte des territoires inviolés des filles Mareschal.
La promenade n’est pas longue jusqu’à l’entrée de la cathédrale, à l’abri des arcades, le seul risque est de glisser sur les pavés ronds du canada.
La cathédrale est presque neuve et d’ailleurs pas finie, sa première pierre a été posée en 1742. Mais il faut aussi préciser que l’évêché qui date de 1648 est aussi récent et que La Rochelle à l’échelle de certaines autres villes de France, est très juvénile.
C’est l’église du quartier, alors on la fréquente mais elle n’est pas d’une beauté excessive. Les filles connaissent bien l’évêque Monseigneur Clément Villecourt, leur frère a eu affaire à lui au sujet d’une publication. Il est très actif et entretien des polémiques avec les ministres protestants de la ville. On peut le qualifier d’ultramontain, mais Zoé que l’on peut considérer comme la plus radicale des sœurs en dévotion l’admire et entraîne ses puînées.
D’ailleurs il faut le dire les quatre n’usent pas seulement leurs genoux sur un prie dieu, elles font aussi œuvre de charité en s’occupant des enfants pauvres du quartier Saint Jean du Perrot.
En général c’est le curé Antoine Belnet qui se charge de leur âme, chaque semaine il les voit arriver avec un peu d’amusement. Comme il est féru d’histoire, les sœurs lui ont fait immédiatement penser aux filles du roi Louis XV. Destin un peu en marge de la norme sociale, pas d’homme, pas de mariage et pas d’enfant. Il leur a immédiatement attribué le surnom que ces pucelles royales portaient. Zoé la plus volumineuse est Coche à cause de son embonpoint, Adélie est Torche pour son caractère brouillon, Delphine la plus timide est Graille et Lidie toujours mal attifée est Chiffe. Le curé est à chaque fois obligé de se confesser quand les sœurs sortent de l’église car il est contrit de sa moquerie. Ce n’est pas très chrétien il en convient mais c’est irrésistible de les voir arriver en rang d’oignon, toujours dans le même ordre.
Auguste Courcelle son grand vicaire le gourmande bien un peu, mais lui aussi laisse filtrer un sourire quand il les voit attendre leur tour agenouillées et pétries de terreur à n’être point pardonnées de leurs péchés. Mais Antoine considère que ce genre de femme, dépassé le comique théâtrale de leur allure, est une bénédiction pour les paroisses. Elles aident au mieux de leurs capacités mais aussi de leurs deniers. Il fait d’ailleurs partie des familiers de la famille et n’a qu’à se louer de leur accueil. Antoine aime aussi la vivacité de la petite Alice a qui il donne des cours de catéchisme.
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