CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 9, FRANÇOIS LE TONNELIER

François Daviaud peste contre la jeunesse, gueule sur la société, aboie sur le journal de son imbécile de voisin et critique bien sûr le nouveau dirigeant de la France , le prince président Napoléon. C’est un opposant né, un opposant professionnel, un opposant qui s’oppose à tous pour le plaisir de s’opposer. La seule personne qui trouve grâce à ses yeux est son épouse Élisabeth, elle est sa divinité. Ils sont mariés depuis 1832, lui était déjà tonnelier comme son père et elle une femme de chambre qui ne possédait que son jupon. Son jupon elle a su l’enlever et leur mariage est heureux. Bien sûr François aurait préféré avoir plus de garçon, un seul ce n’est pas assez pour faire fleurir son entreprise. Puis est arrivée Angèle il y a dix mois, ce n’est qu’une fille mais on saura bien la marier à un garçon tonnelier. Il est donc comblé notre homme, des tonneaux, il en faut et il en faudra. Il rêve maintenant d’une terre à lui, rêve de devenir rentier et de devenir bourgeois. Il aimerait que sa femme ne soit plus la Daviaude ou la Daviote mais plutôt Madame Daviaud. Qu’elle ne soit plus la femme du tonnelier, qui lave son linge, recoud, ravaude et puise l’eau, mais une bourgeoise sentant bon le savon, ayant de l’embonpoint et commandant à une armée de servantes. Malgré son travail acharné, il n’en est pas là, alors tout au long du jour il maugrée.

Mais depuis peu un autre désir germe dans son esprit, il est mal séant, un peu perverse mais n’est après tout qu’un désir masculin bien compréhensible. Un jour, il y a peu alors qu’il allait chercher du bois, il avait entendu du bruit. Eugène le garnement de son collègue Charles Martin était sur la drôlesse aux Admyrauld. Le bougre la besognait de bon cœur et la garce ma foi, si l’on se référait à ses couinements, en éprouvait bien du contentement. Il aurait du les virer de sa remise, mais une attitude de voyeur prit le dessus et il les observa en silence. La petite était vraiment bien faite, un joli petit derrière, une faible toison d’un noir de jais et deux petits seins qui auraient fait se damner un saint.

Depuis François observe les deux amoureux, il envie Eugène et se promet de montrer à la gamine comment un vrai homme fait jouir une femme. Pas un moment François imagine qu’il aurait du chasser les petits amants. Non attiré comme un enfant qui surprend ses parents ou comme un papillon vers la lumière, il est resté là , lubriquement à se repaître de la vision d’érotisme sauvage des premiers pas amoureux de ces enfants.

Maintenant il est obnubilé par ce qu’il a vu et tente obsessionnellement de palier cela en faisant l’amour à sa femme. Élisabeth est loin de se douter que ce ressac de désir ne lui est pas destiné. Malgré la lassitude des assauts répétés de son mari elle sourit de bonheur de savoir qu’elle suscite encore le désir malgré les années qui s’échappent.

La Rose Robert elle a un sixième sens, malgré son jeune âge et sa précocité, elle devine les hommes et leur dessin comme dans un livre ouvert. Eugène n’est qu’un profiteur qui ne pense qu’à cela, son employeur Étienne n’est qu’un jouisseur lissé par une bonne éducation et une moralité religieuse sans faille, il doit sans conteste passer de bon moments avec des dames lors de ses déplacements sans que sa dinde de Lidie ne s’en doute le moins du monde. Le vieux Babin comme tous les vieux n’est qu’un vicelard qui derrière ses lorgnons tente d’apercevoir le moindre bout de chair. Quand au domestique d’à coté, le André, elle avoue qu’elle aimerait y goûter mais étant amie avec Geneviève elle se dit qu’il faut rester correcte. Rose considère que l’amour physique est un puissant levier pour monter dans la société quand on ne naît pas avec une cuillère en argent dans la bouche comme sa patronne. Mais comme en toutes choses, rester maître et tout en contrôle. Eugène c’est pour l’initiation. Elle attend de savoir avec qui elle apprendra à devenir la maîtresse du corps des hommes  pour  commander leur esprit. Elle n’entrevoit personne dans la rue, ces pères de famille sont source d’ennuis, peut être un marin du port comme la domestique des Babin.

François un jour voit entrer Rose dans la remise, il se poste dehors et attend qu’Eugène arrive pour lui dire que cette dernière a eu un empêchement. Rien de plus bizarre mais Eugène qui n’est pas le plus futé de la rue croit l’associé de son père sans se soucier de savoir pourquoi Rose aurait mis dans la confidence de leur tête à tête le propriétaire de la tonnellerie.

Rose lorsqu’elle voit François avancer dans la pénombre à la prescience qu’il va lui arriver un malheur. Immédiatement son corps se met en état de défense, et son cerveau s’emballe. Doit-elle résister physiquement et hurler, doit-elle observer une passivité pour ne pas qu’il lui fasse mal, fermer les yeux, subir et se dire que c’est un aléa de la vie. Il est tout près d’elle, ses yeux sont enflammés par une sorte de fièvre.

Pour François tout est en train de basculer, il a envie de cette gamine, il lui faut cette chair fraîche et juvénile, le besoin est impétueux. Il s’avance encore, il sent maintenant ce corps de femme, rien maintenant ne pourrait le faire changer d’avis car son esprit ne lui appartient plus il a l’impression d’être un autre de ne plus être lui. Il peut presque la toucher pourtant il ne le fait pas. Il aimerait la prendre mais il sait que c’est l’autre qui commande, qui gère et cela il ne le veut pas. Alors il hésite, tergiverse, elle est en sa possession, mais peu à peu il redevient lui, l’homme intègre, droit, sans histoire, l’homme d’une seule femme, le père de famille. Rose pleure, la terreur l’a terrassée, cela lui retourne le cœur, alors il lui tend la main et elle lui prend.

Elle l’entend à peine qui lui dit  » sauve toi de là, tu n’as rien à faire ici », elle sort dans la rue et la lumière lui brûle les yeux. Elle ne sait plus où elle se trouve.Il y a du bruit, on l’observe, une femme lui demande si elle va bien. Enfin elle reprend vie, se touche, respire, elle n’a mal nul part, ses vêtement ne sont pas déchirés. Oui elle se rappelle, le tonnelier, ses yeux de fou, puis cette impression bizarre que sa dernière heure est arrivée. Pendant un moment qui lui a paru très long, elle a pensé que François allait la violer, c’était évident, puis bizarrement comme une enveloppe charnelle qui se détache, elle a vu devant elle un autre homme. Il lui a donné la main puis l’a faite sortir de la remise, rien, il ne lui a rien fait. D’ailleurs il sort lui aussi une planche de bois à la main , s’arrête, lui sourit puis reprend son activité.

 

François Daviaud né à la Rochelle le  1er avril  1806, fils de tonnelier, marié  le 15 octobre 1832 à la Rochelle avec  à Elisabeth Chevallier née le 11 juin  1810 à Rochefort.

 

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