
En bas de la maison Zoé croise monsieur Babin, il habite au dessus de chez elle. Lui comme chaque jour, part pour sa promenade, sanglé dans son pardessus comme au temps de sa lieutenance de gendarmerie. Respectueusement il lui adresse ses salutations du matin et s’en va appuyé sur sa canne. Ils ont le même age, lui est né à Saint Jean d’Angély et est devenu officier de gendarmerie. Il est fier d’être chevalier de Saint Louis et devient intarissable sur sa carrière, si vous faites l’erreur de lui demander d’en conter l’histoire.
Zoé rigole chaque matin en le voyant car elle sait et s’en amuse que sa promenade ressemble plus à une inspection militaire qu’ à une promenade de santé. Invariablement il se dirige vers le poste de la porte neuve puis longe les remparts de Ferry jusqu’à la porte Dauphine. Il n’est pas veuf mais préfère sortir seul, sa femme Élisabeth née Lefebvre est nettement plus jeune que lui mais d’une santé fragile qui ne l’autorise guère à sortir.
Cette différence d’age entre époux, d’un schéma classique à l’époque n’avait guère marqué Zoé dans les premiers temps de son union, bien que toute jeune épousée elle avait eu l’impression d’être livrée au minotaure. Mais comme son mari était mort à l’age de 41 ans elle n’avait pas souffert de sa vieillesse alors que Mme Babin âgée de 58 ans s’agace fort volontiers de la décrépitude de son militaire de 73 ans.
Le mot de décrépitude à son égard est sûrement exagéré, disons plutôt qu’une certaine rigidité dans son attitude laisse à croire que son temps est passé. Au demeurant fort intéressant et fort instruit il en sait long sur l’histoire de La Rochelle et est intarissable sur ses sujets de prédilections qui sont l’ensemble des ouvrages défensifs de la ville. Si vous avez le malheur de vous aventurer sur le sujet et émettre l’hypothèse que les fortifications ont été construites par Vauban alors là vous baissez soudainement dans son estime et il faut vous attendre à une volée de bois vert intellectuelle.
Chacun part donc dans sa direction, Zoé parle du mauvais temps qui est attendu avec son cocher et notre militaire entame une énième discution avec l’imprimeur d’en face .
Par la fenêtre Élisabeth voit partir son mari, elle apprécie ce moment de solitude.
En général encore en tenue de nuit elle rédige son courrier. Elle s’astreint à cet exercice pour garder un tissu social dense et enfin sortir de la carapace qui ensevelit son couple, car si elle aime recevoir et tenir salon, son bougon de militaire reste plutôt cantonné à ses livres et à ses souvenirs de guerre.
Tous les jours en traçant ses lignes d’une plume soignée elle s’imagine ce qu’aurait pu être sa vie si ses parents de l’avaient pas jetée dans les bras de ce strict militaire. Elle se voit encore danser dans des soirées, jouter de vers galants avec quelques plaisants et pourquoi pas encore souffrir d’amour à être prise.
Elle entend frapper à sa porte, croit que c’est sa fille Louise mais ce n’est que la bonniche.
- Madame un courrier a été déposé à votre attention.
- Par qui grand dieu
- Un domestique madame
- Mais pauvre godiche qu’attendez vous pour me le donner.
- Voici
- Bon retournez à vos affaires et revenez me dire si ma fille est enfin visible.
Rose Vivien est domestique chez les Babin, elle n’y est pas mal mais souffre tout de même en silence d’un manque de liberté. Sa vie de jeune fille de vingt ans est étriquée et elle se voit regretter la petite hutte dans les marais de ses parents et la liberté de courir le long des canaux.
Madame est sévère et gronde en permanence, mais monsieur qui pourtant n’est pas grâlant lui témoigne un intérêt certain.
Mais Rose n’est pas l’oie blanche qu’on croit voir et sait pertinemment que l’intérêt de monsieur est plus physique qu’intellectuel. Au vrai, en gendarme expert il lui reluque ses avantages et se permet parfois quelques pincements de chair.
Elle s’ouvre du sujet à son galant, un marin qui fait le passage de La Rochelle à Saint Martin de Ré. Mal lui en prend car celui-ci veut faire rendre justice au vieux gendarme. On frôle le drame car la justice n’aurait guère balancée entre un notable et un marin de sac et de corde.
Mlle Babin est une vieille fille de 34 ans qui n’a pas trouvé de mari, un pot qui n’a pas trouvé son couvercle. A force de prétention, à force de refus de partis, elle est seule avec maman et avec papa. Plusieurs fois, elle aurait pu prétendre, mais elle comme ses parents aveuglés ont repoussé ce qu’il leur semblait une mésalliance. Les années sont passées, la jeunesse a disparu et comme une pomme qui se ratatine Mlle Louise s’est transformée en une grenouille de bénitier acariâtre et méchante avec la domesticité. D’ailleurs c’est elle qui a fait renvoyer la précédente bonne en l’accusant de faire monter un homme dans sa chambre.
Au grand désespoir de sa mère la Louise fréquente plus que de raison la cathédrale et chante plus d’oraisons que d’airs de danse.
Le lieutenant en retraite au niveau de la place d’arme entreprend un jeune officier de marine qu’il connaît vaguement.
- Savez-vous jeune homme que les remparts de la Rochelle sont l’œuvre de monsieur Fleury, ingénieur du roi.
- Non je ne savais pas
- Les travaux ont commencé en 1689 et se sont terminés en 1700.
- Oui très bien mais il faut que j’y aille cher monsieur.
- Il a fallu six mille hommes le savez vous.
- Eh bien non monsieur Babin, le partage de votre érudition me flatte mais je suis attendu pour mon embarquement.
- A oui faite je suis un vieux fou qui a du temps, je poursuis ma promenade.
Le vieux continua dans sa tête, oui six mille hommes, du bel ouvrage, 5500 mètres, les portes sont magnifiques, surtout la porte royale et la porte dauphine.
Louis François Babin né le 22 octobre 1777 à Saint Jean d’Angély Charente maritime, fils de Ambroise Marchand et de Marie Magdeleine Beraud, décédé le 2 décembre 1860 à la Rochelle rue de l’Escale marié à
Marie Elisabeth Lefebvre née au Mans le 18 novembre 1791 de Pierre Alexis et de Marie Angibault, décédée le 19 octobre 1855 à la Rochelle rue de l’Escale
Ils ont une fille unique
Louise Marie Ambroisine née à la Rochelle le 22 avril 1816, décédée le 26 mars 1905 à la Rochelle, célibataire et rentière.
CEUX DE LA RUE DE L’;ESCALE, PARTIE 1, ZOÉ LA VIEILLE
CEUX DE LA RUE DE L’ESCALE, PARTIE 2, LES DOMESTIQUES
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