
Comme chaque matin dressée sur son séant Zoé écoute les bruits de la rue , elle les reconnaît tous, elle en distingue les moindres subtilités. Elle ne sait depuis le temps, si ces sons familiers la réveillent ou bien si elle se réveille elle même pour en entendre la mélopée.
Immuablement c’est la voiture du laitier qui ouvre le bal du murmure, les hautes roues de bois cerclées de fer donne le ton sur les pavés de leste. Ceux-ci ornent la rue formant un gigantesque damier aux subtiles nuances de couleurs.
Puis, plus au loin, elle perçoit la relève des gardes de la porte Neuve, les soldats crient, rigolent, virevoltent et prennent leur première chopine de la journée.
Elle entend aussi le pas des campagnards qui pénètrent dans la ville blanche pour y livrer le fruit de leur labeur afin que tout le peuple de la ville,qui lentement se réveille, puisse se nourrir. Ce flot de paysans en sabots comme une danse aiguise l’oreille de Zoé qui dans son univers douillet tente de deviner l’occupation de chacun. Il y a des maraîchers, il y ceux qui viennent vendre leurs volailles, leurs œufs ou bien qui traversent la ville pour aller aux abattoirs qui se trouvent le long du canal et qui y emmènent faire mourir leurs bêtes.
Mais dans ses draps de soie, c’est aussi le bourdonnement de ceux qui sortent, les journaliers, les petites mains qui vont aux champs, aux vignes et qui logés dans des taudis infâmes des bas quartiers vont aider les paysans du dehors à engraisser les puissants possesseurs.
Alors que le jour point, tout s’entrechoque, le bruit devient tintamarre, tout s’accélère , le léger murmure du départ devient le vacarme de l’urbanité. Elle perçoit le porteur d’eau, les servantes qui jettent les pots de chambre en s’invectivant, les maréchaux ferrant de la rue de la porte neuve qui frappent sur leurs enclumes, les premiers chevaux ferrés de la journée qui hennissent.
Elle entend aussi les serruriers d’à coté qui ouvrent leur échoppe, les tonneliers voisins qui font rouler leurs premières rouelles, il y a aussi les petites mains qui viennent à l’imprimerie de Mareschal pour y prendre les liasses de journaux qu’ils vont colporter dans les rues de La Rochelle, c’est toute la vie d’une ville qui lentement se réveille.
Il va être temps qu’elle aussi enfin y participe, mais intriguée par un croissant de lumière qui filtre par un dessin sculpté sur le volet, elle s’offre un dernier moment d’alitement. Bizarrement au gré d’un nuage qui joue à cache cache avec le soleil un spectacle de lanterne magique s’offre en don à une nouvelle journée.
Zoé se lève enfin, en chemise elle satisfait à un besoin naturel dans son bourdalou puis sonne sa servante .
Dans son miroir elle voit le reflet d’une vie, bien que sa silhouette ne soit plus celle d’en-tant elle se plaît à penser qu’elle n’est pas encore aussi décrépie que certaines de ses rencontres en société.
Elle est née sous le grand siècle, celui des lumières, celui de tous les possibles. En cette années 1776, le roi Louis seizième du nom n’est qu’un grand dadet falot, encore à moitié puceau. Plus préoccupé de serrurerie que des charmes de sa Marie Antoinette qu’on a poussé dans son lit afin qu’il procréait comme il se doit un héritier.
Elle est née Jousseaume, et pour elle ce n’est pas rien, son père était dans le négoce, comme d’ailleurs le reste de la famille. Négoce du vin, négoce de l’eau de vie, mais aussi négoce des vies car notre marchand comme le tout à chacun de ceux qui avaient de l’importance possédait des parts dans le juteux commerce de la traite.
La famille est protestante et son père arborait comme un étendard son prénom biblique d’Isaac. Par alliance l’on touche aux Seignette, aux Meschiney, aux Souches des Barres, l’on est bien né et l’on fréquente la meilleure société Rochelaise.
Tout va pour le mieux, bien que le commerce soit un peu bousculé par la guerre d’indépendance des Amériques, le commerce triangulaire en pâtit un peu mais le commerce des eaux de vie est florissant.
Comme il se doit dans cette brillante société de province l’on marie jeune, mais l’on marie bien et utile. Zoé est fourrée dans le lit d’un riche négociant, elle est jeune , elle est pucelle, elle ignore tout de la vie mais qu’importe il est aisé, il est négociant lui aussi. Elle s’estime heureuse, ce n’est pas un barbon, Jacques Jean Baptiste Bernon est né en 1762 et n’a donc que 32 ans lorsque après les troubles de la terreur, il l’épouse.
Les temps sont au bonheur, la dure période des comités est terminée, les restes de Robespierre et de ses sbires ne sont pas encore pourris lorsque le 19 août 1794 les Bernon et les Jousseaume s’allient. La fête est belle, Zoé découvre le sexe à défaut de l’amour qui lui a n’en pas douter viendra plus tard.
C’est à ce moment qu’elle rejoint la maison de la rue de l’Escale, c’est dans cette chambre que son mari l’a déflorée, elle s’en souvient comme la journée d’hier pourtant que de temps a passé.
C’est aussi dans cette chambre que sont nés ses enfants, sa fille qui doit aussi maintenant s’activer à l’étage et ses deux fils qui eux sont partis.
La bonne entre enfin, Zoé dont la patience n’est pas sa plus forte qualité lui fait sa première remontrance de la journée.
- qu’est ce que vous pouvez lambiner ma pauvre fille!
- Mais madame j’ai frappé et vous ne répondiez pas
- taisez vous et aidez moi.
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- Marie Esther Jousseaume née à la Rochelle le 22 décembre 1776, décédée le 18 février 1865, fille de Jacques, négociant et de Anne Françoise Souchard des Barres.
- Baptisée au temple protestant
- Ne se prénomme Rose que sur le recensement
- Mariée à Jacques Jean Baptiste Bernon à la Rochelle le 18 Août1794.
- Son mari Jacques Jean Baptiste est mort le 19 Novembre 1803 à la Rochelle
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