UN ROCHEFORTAIS DANS LA NAVALE, ÉPISODE 2 LA JEUNESSE

Si le spectacle était à l’arsenal, il était aussi dans les rues, les marins en goguette y déambulaient à la recherche d’une bonne fortune, d’un estaminet ou d’une fille tarifée.

Mme Arnoux pétrit de bonnes manières, faisait accélérer le pas à sa progéniture pour ne pas qu’il côtoie du regard la pauvreté des âmes perverties de la lie des matelots.

Si la gouaille et l’ivresse des marins faisaient sourire son officier de mari, elle, en était outrée. Joseph se serait bien vu avec ces simples soldats qui l’attiraient et avec qui en une communion d’esprit il aurait levé chopine.

Ce n’était qu’une vue de l’esprit, il n’était pas du même monde et jamais le fils d’un officier se commettrait avec la plèbe des équipages.

Les deux frères grandirent dans les odeurs de vase de la Charente et le vent d’ouest qui amenait les effluves du large.

Collège, lycée puis concours de l’école navale, le destin était tracé. Officier de marine, Joseph ne voulait pas répondre aux sirènes de son oncle négociant à La Rochelle. Les affaires et l’argent ne l’intéressaient pas.

En 1863, ce furent les adieux, sa mère fière et heureuse laissa toutefois échapper quelques larmes et Eugène Arnoux capitaine de frégate maintenant en retraite, cacha sa tristesse de voir partir son fils dans une accolade virile et un flot de recommandations.

Joseph quitta le calme estuaire de la Charente, les rives pleines de roseaux du fleuve de son enfance et les pertuis protecteurs pour le vrai océan, celui des rochers et des tempêtes, celui du vent et des vagues.

L’école navale se trouvait à bord d’un vieux navire qui portait le nom de Valmy mais que tous appelait Borda du nom du chevalier Borda, mathématicien, physicien et marin.

Joseph eut de la chance car à quelques mois près il aurait goutté des conditions déplorables du Borda précédent. Il n’empêcha pas que la transition entre l’intérieur bourgeois des Arnoux et celui plus spartiate d’un bateau qui se dandinait en rade du port de Brest, fut assez rude.

le Valmy

Joseph devint  » fisto  », avant l’année suivante de devenir un ancien. L’enseignement était varié, la discipline assez dure, il s’y fit et peu à peu entra dans le moule des officiers. Dûment endoctriné, fier de son appartenance à un corps mémorable, Joseph Arnoux aspirant de deuxième classe puis de première, gravit avec brio les marches qui débutaient son ascension sociale. Comme les autres, il s’encanailla dans les bouges du port, il y perdit dignement son pucelage sans avoir la maladresse de se retrouver à l’infirmerie avec une chaude pisse.

A l’issue de ses deux ans de bordache, il passa sur le Jean Bart. Ce n’était qu’une école d’application, mais il y parfit pendant une année ses connaissances et commença aussi sa vie de voyageur.

Sa première affectation réelle se fit sur l’aviso le Travailleur, entraîné par une roue et mue par la vapeur ce petit navire ne fut qu’un intermède avant qu’il ne se rende sur le Guichen.

aviso type le Guichen

Construit à Rochefort cet aviso de 2ème classe était tout neuf en 1866 . Joseph maintenant enseigne de vaisseau y resta quatre ans. Après ses essais l’aviso à la coque de bois, aux mats et à la cheminée inclinée quitta Lorient pour partir vers Tahiti. Joseph goutta aux délices africains en faisant une escale au Sénégal, puis traversa l’atlantique pour les ports de Montevideo et changea d’océan en passant le détroit de Magellan. Valparaiso était une ville étape pour les navires qui se rendaient dans le pacifique. Joseph y fit bonne chair dans tous les sens du terme, une bourgeoise de la communauté européenne ne lui fut pas cruelle. Ce fut après l’escale enchanteresse de Papeete, la douce chaleur, les fleurs, la rondeur gracieuse du corps des vahinés. Tahiti succéda à Papeete et San Francisco succéda à Tahiti, Joseph devenait aguerrit et après avoir changé de commandant repartit sur Nouméa. Le navire assura la poste de Nouméa à Sidney. Notre Rochefortais connaissait maintenant les côtes pacifiques, l’Australie, le Chili, l’Uruguay, le Sénégal et les États Unis. Joli bilan à peine terni par la guerre de 1870 où son navire ne prit aucun rôle dans ce combat qui ne fut presque que terrien.

Joseph embarqua ensuite sur la frégate Néreide, un magnifique trois mats qui servait de transport, mais il resta au port pendant presque deux ans renouant ainsi avec sa famille et réfléchissant déjà à un avantageux établissement conjugal. Il enchaina ensuite les affectations, le Rhin, le Paris, le Travailleur, l’Armide, l’Alma et la Lionne.

                                                                            frégate type Néréide

Passant plus de temps à quai à Rochefort, à Brest et à Lorient que sur la mer . Joseph trouvait un peu le temps long et l’avancement peu rapide. Nous étions en 1875, cela faisait 12 ans qu’il était dans la marine et il fut affecté sur un nouveau bateau le Talisman. Ce fut sur ce dernier qu’il apprit son passage au grade de lieutenant de vaisseau le 28 janvier 1876.

Avec ce grade allait venir les commandements, il ne serait plus second mais pacha. Il n’était encore pas amiral mais une certaine fierté se faisait jour lorsqu’il montait la coupée et qu’il entendait le sifflet du factionnaire.

UN ROCHEFORTAIS DANS LA NAVALE, ÉPISODE 1 LES ORIGINES

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