LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 25/25, LE RETOUR DES CENDRES

Quelques années plus tard, j’appris enfin la bonne nouvelle, l’empereur allait revenir près de nous. Le roi Louis Philippe avait donné son accord pour le rapatriement du corps. C’était Foutriquet ( Thiers ) son ministre qui en avait négocié les termes avec le gouvernement Anglais. Évidement ce n’était pas pour développer le culte du disparu mais plutôt pour contenter les bonapartistes.

A ce sujet je n’avais pas pris position, l’empereur était  mort et il ne reviendrait plus, pas plus que son fils le petit autrichien. Apparemment un neveu à lui s’agitait  beaucoup, c’était le fils de Louis et d’Hortense. Une belle filiation en vérité, le roi Louis n’avait brillé que par l’incandescence du soleil impérial, mais peu importe, du fait qu’ il porta le même nom c’était visiblement suffisant pour ses zélateurs.

Enfin bon, l’accord passé avec la perfide Albion, le fils du roi, le prince de Joinville, à bord du bateau la  » belle poule  », alla chercher les cendres de l’empereur.

Il emmena avec lui les compagnons de déportation de Napoléon, les généraux Bertrand, Gourgaud et les anciens serviteurs Ali, Archambaud, Marchand, Pieron et le fils de Las Cases, Emmanuel le rédacteur du mémorial.

Partie le 7 juillet 1840, nous on suivait cela dans les journaux, la flottille arriva à Saint Hélène en octobre. Dans la nuit du 14 au 15 octobre ils ouvrirent la tombe de la vallée des géraniums puis on vérifia que le corps enterré était bien celui de l’illustre guerrier. Les quatre cercueils ouverts les assistants constatèrent avec effarement que le corps était presque intact. Napoléon en uniforme des chasseurs les toisait encore et les impressionnait comme il le faisait de son vivant. Puis l’on remit les cercueils dans un autre sarcophage, les 48 soldats anglais peinèrent à porter la lourde charge. Le 30 novembre 1840 la belle poule accosta à Cherbourg. Le catafalque monumental remonta la Seine jusqu’à Paris où l’empereur allait reposer parmi les siens.

Rapidement je m’étais  dis que je devais assister à ce retour, mes deux comparses Vrillonneau et Sabiron furent d’accord avec moi.

Le trajet ne nous faisait pas peur , nous en avions vu d’autres. Sur les routes et les chemins, vestiges de l’épopée nous étions nombreux à cheminer. Pour la circonstance nous avions revêtu les loques de nos grandeurs disparues.  Je n’avais plus que ma redingote mais j’y avais fiché ma croix. Sur notre passage beaucoup en soutien soulevaient leur chapeau.

Dormant dans des granges, marchant toute la journée, parfois montés sur des voitures qui nous poussaient plus loin en économisant nos forces nous arrivâmes presque en même temps que lui.

Avec les gars on rejoignit notre petit caporal sur les quais de Courbevoie, là comme au bivouac on le veillerait toute la nuit. Je me fis quand même la réflexion que les autorités auraient pu trouver un bateau qui s’appelle autrement que la  » dorade  » mais passons sur cette petitesse. Puis le lendemain il partit sur sa capitale, tiré par seize chevaux le corbillard avança aux pas lentx des chevaux qui peinaient. La foule était immense , monumentale, une nuée humaine voulant le voir une dernière fois.

Des millions de personnes sous le fracas des carillons de notre dame et des feux de salves des canons des invalides marquèrent leur joie et leur amour.

Je ne sentais même pas le froid polaire qui m’atteignait, les plus vieux disaient que c’était le vent de la Bérézina que soulevait une dernière fois l’empereur. Bien sûr, nous les gens du peuple on ne put assister à la messe. La cour royale, les dignitaires, les hauts gradés, les influents assistèrent à un office diablement long paraît il, nous une auberge nous accueillit et le vin  d’Argenteuil réchauffa nos membres endoloris.

Maintenant qu’il était la, comme la majorité des survivants je me dis que je pouvais mourir. C’était idiot de vénérer quelqu’un mais je faisais une exception pour lui.

Plus tard un conteur de passage sur Taugon nous récita ce ver :

En vous voyant passer, ô chef du Grand Empire, le peuple et les soldats tomberont à genoux, mais vous ne pourrez plus vous pencher pour leur dire je suis content de vous

Ce jour là j’en ai pleuré et le souvenir de son cercueil passant devant moi me hanta jusqu’à ma vieillesse.

Le reste de ma vie en somme n’a pas grande importance, j’ai marié mon fils en 1843 à une couturière de Marans, je m’en rappelle bien car nous avons fait le déplacement avec ma femme. Le bougre de couillon n’a même pas été foutu de signer le registre, il est vrai qu’un maçon n’a pas besoin d’écrit mais tout de même je suis chevalier de la légion d’honneur et c’est presque me faire injure.

Le pauvre n’a pas eu de chance mais se marier avec une vieille dusse t’elle avoir des biens comportait bien des risques. Comme celui d’avoir un enfant, elle mourut le 30 avril 1845 dans sa maison de la Providence à Marans treize jours après avoir accouché d’un garçon prénommé Ernest Constant. Le gamin la suivit 2 jour après.

Mon fils ne resta pas très longtemps veuf, à cet age il vous faut une femme. Le 1er juillet 1846 il épousa Marie Rosalie Marsais, elle n’était que lingère mais son père était un capitaine de cabotage, j’assistais seul au mariage car mon épouse était malade et ne put se déplacer . Mais le bougre n’eut guère de chance, le 22 décembre de la même année, la petite rendit son âme à dieu. Ce fut une belle déveine pour lui qui aurait aimé avoir un fils.

Pour ma propre descendance je n’eus pas plus de chance que lui car mes filles s’obstinèrent à ne pas convoler ce qui désespéra ma femme.

René Ferron est mort le  20 décembre 1849 à Taugon et a été inhumé dans le village où sa tombe est toujours visible et entretenue.

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