LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 23/25, LE MARIAGE ET LES ENFANTS

Marie Jeanne je la connaissais  depuis toujours, c’était une fille du pays. Elle avait déjà 28 ans ce qui n’en faisait plus une jeunette. C’était une femme faite qui ne demandait qu’à éclore dans mes bras. En terme d’idéal féminin je n’avais pas d’idée particulière, la vue d’un jupon, l’ombre d’une cuisse, la courbure d’une chute de reins ou la rotondité d’une poitrine moitié m’émouvaient. Brune, blonde ou rousse cela m’indifférait pourvu qu’elles soient bien en chair. Mon bonheur sous les armes avait été assuré par la peau mate d’une belle basquaise, par la toison blonde d’une allemande à la chair blanche, par une polonaise à la poitrine qui vous faisait perdre votre âme mais aussi par une parisienne gouailleuse au type métissé de toutes les influences. Alors comme elle était, ma Jeanne me plaisait. A force d’économe elle avait constitué une petite dot qui cumulée à mon bas de laine nous permettrait de nous installer sur une petite terre ou croîtrait une ribambelle de Ferron. Non pas que la transmission de mon sang me préoccupait mais n’ignorant rien des choses de la femme, il y avait fort à parier qu’avec une vie régulière d’amour de nombreux rejetons viendraient troubler notre quotidien.

Le 6 novembre 1816 plus d’un an après mon retour je mariais ma Marie Jeanne Brunet, ce furent mes frères Jean et Louis qui me servirent de témoins, François et Jean Brunet les frères de ma femme furent ses témoins à elle.

La fête fut joyeuse, nous étions nombreux, car j’ai tenu à l’invitation d’une forte parentelle.

Ma douce femme avait  effectivement gardé pour moi son joli bouquet de jeune fille, ce fut  comme un honneur de pénétrer dans un endroit inconnu de tous.

Par commodité nous allions gîter chez mon beau père à Saint jean de Liversay, il était veuf et ma femme continuerait donc à tenir son ménage . Évidemment j’aurais préféré être seul avec elle mais le vieux était laboureur à bœuf et ma foi, me procurait du travail.

Saint Jean de Liversay n’est qu’à un jet de pierres de Taugon et de la Ronde, l’eau y est un peu moins présente , les marais plus éloignés mais l’atmosphère ni était guère différente.

Nous étions fertiles tous les deux à n’en point douter car 9 mois après le mariage notre fils Jean arriva, ma femme fit un peu de simagrées et l’on ajouta à ce prénom traditionnel, Hilaire et Cyprien.

Il faut dire avec raison que Cyprien était  le prénom de l’oncle de l’enfant.

J’avais vite repris mes habitudes de civil mais ma vie était plus monotone qu’elle ne l’était c’était  une évidence,  de plus la présence d’une femme et d’un enfant n’avait rien à voir avec la présence d’hommes dans un cantonnement.

Le deux octobre 1819 Marie Jeanne mit au monde une petite que l’on nomma Marie Rose, deux enfants cela vous posait un homme d’autant que le premier persistait  à vivre

Nous autres les anciens de la grande armée nous commencions doucement a émerger socialement, la chape de plomb qui entourait notre ancien état et notre opinion se fissurait. Peu à peu le droit à la parole nous revint, je me décidais par bribe à évoquer mon passé. Parfois dans les veillées je parlais, je me racontais, ce n’était  pas encore une expression libre mais l’éloignement des faits m’autorisait  sans crainte de représailles des autorités à enfin dévoiler des bribes de l’épopée.

Les troupes étrangères qui avaient ramené le gros roi avaient fini par partir. Elles nous avaient bien volés et bien pillés.

Au hasard d’une virée à la foire de Marans je retrouvais un camarade de régiment. Le Jacques Vrillonneau était devenu aubergiste près du port. Venu vendre une bête je me devais  de sceller avec l’acquéreur cet acte commercial en trinquant et je pénétrais  au   »trois chandeliers » rue du  »grand chemin ». J’ étais tombé des nues lorsque je vis mon lascars, nous étions tombés dans les bras l’un de l’autre et on s’était promis de ne plus se quitter. Lorsque je partis nous avions évoqué nos souvenirs sans nous préoccuper du reste de la salle. J’étais reparti saoul comme un polonais et ma mule m’ avait raccompagné à la maison. Marie Jeanne qui ne m’avait jamais vu ivre fit la soupe à la grimace et prit la position du cul tourné. Qu’importe j’avais retrouvé une partie de mon âme. Depuis lors nous ne manquâmes  pas de nous retrouver et d’évoquer nos souvenirs de guerre.

Un jour, quelques années après je me trouvais à vérifier si mes blés poussaient correctement et si je pouvais prévoir une bonne moisson lorsque je vis arriver ma femme courant comme une folle malgré la lourde chaleur. Elle me cria du bout du champs  » il est mort, il est mort  »

Je m’interrogeais, personne n’était souffrant chez moi, alors qui?

A voir sa mine j’imaginais que le mort devait  avoir de l’importance, c’est le roi me dis- je, oui c’était cela c’était le roi.

Mais ma joie fut de courte durée le mort n’était pas Bourbon, mais Bonaparte.

La nouvelle courut la France, l’empereur était mort le 5 mai à 5h 45 dans sa prison de Longwood dans l’île de Saint Hélène. C’était fini, l’espoir qu’il revienne, l’espoir que le grand empire étendit de nouveau ses ailes sur l’Europe, l’espoir que ces immigrés s’en retournent encore une fois en dehors des frontières. Une vraie catastrophe, j’étais sans voix, sans force, détruit. Mon premier reflex fut de courir à Marans pour prévenir Vrillonneau. A aucun moment je ne m’imaginais qu’il soit déjà au courant , il fallait que je le prévienne moi même.

Évidemment lorsque j’arrivais il était déja au courant et comment ne l’aurait-il pas été en tenant une auberge dans un port. Devant une chopine on se remit à refaire le monde et forcément l’on revint à la bataille de Waterloo.

Nous étions orphelins et nous devions c’était de notre devoir de perpétuer le souvenir de notre  » tondu  »’.

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