LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 21/25, WATERLOO

Vers 10 heures l’armée était rangée sur trois lignes, la brume qui se levait dévoila le paysage, on vit au loin les anglais et un clocher. Je ne savais où j’étais  et je m’en moquais bien. J’aperçus aussi un village et un bois, mon voisin me dit que c’était le village de Plancenoit.  Comment savait-il cela, mystère?

Je me sentais un peu nauséeux, je n’avais pas dormi et  je mourais littéralement de faim malgré le pillage de la veille. Je regardais mon fusil, il était  rouillé, ce n’était guère militaire mais si l’arme ne fonctionnait pas il me resterait ma baïonnette.

Le terrain détrempé n’avait pas permis une action plus matinale, les combats commencèrent vers 11 heures.

Ce fut d’abord un duel d’artillerie, la terre trembla comme dans un séisme et le bruit ressemblait à une cascade hivernale. Le soleil était  revenu et de la vapeur montait des rangs.

Je ne vis rien de la bataille mais en début d’après midi la deuxième ligne fit mouvement vers la droite. Il était  3 heures et l’on nous donnait maintenant l’ordre de bouger. Que ce passait ‘il nous n’en savions rien, nous étions des marionnettes tirées par les fils de l’état major. On forma carré entre Belle Alliance et Plancenoit. Devant nous c’était un horrible carnage, le 1er corps était presque décimé, nous vîmes  des taches bleues et rouges qui parsemaient comme des fleurs le champs de morts.

Nous on attendit et je me permis un petit somme, bercé par le bruit assourdissant des canons et des agonisants. De cette terrible empoignade nous en ignorâmes le résultat, tout était fouilli, désordre et cavaliers qui passaient au galop.

Nous étions un peu surpris de loin de voir la cavalerie de la garde s’ébranler. Si les immortels chargeaient c’est que la victoire n’était pas loin, encore une fois cela allait se faire sans nous.

Mais non ce n’était  pas la victoire, les vaillants cavaliers se heurtèrent à la solide défense des carrés anglais, il fallait être fous pour attaquer ainsi.

Maintenant c’étaient  des boulets prussiens qui nous venaient  par la droite, ils nous fauchaient des rangs entiers. J’étais bien réveillé croyez moi, comme les autres je ne compris rien, notre cavalerie n’avait pas percé et les prussiens arrivaient là où on ne les attendait pas.

Malgré notre inquiétude, on hurla encore vive l’empereur et l’on chanta à tue tête pour nous donner du courage. L’artillerie de la garde ne savait plus où orienter ses pièces, cela craquait de partout, l’on vit refluer des troupes.

La jeune garde devant Plancenoit craqua sous le nombre, les drôles furent magnifiques et mouraient  avec abnégation.

Il fallait la vieille garde pour empêcher les prussiens de passer, en colonne nous avancions, le combat était terrible, les rangs s’amenuisaient, je ne voyais personne, j’avançais vers mon destin, j’étais ivre de colère, j’ allais mourir c’était une certitude. Mais enfin c’etaitt  les prussiens qui cédaient, le général Pelet avait  bien mérité de l’empire et sans doute nous aussi. Il manquait un élément à notre victoire et cet élément était le corps de Grouchy si il arrivait, nous avions  la victoire.

Mais il n’arriva pas et  là la nuit allait bientôt tomber, il fallait vaincre et passer sur le ventre des anglais, le reste de la garde allait s’en charger, moi j’étais en deuxième ligne.

Des soldats isolés s’agrégèrent à nous pour vaincre ou mourir. La garde donna, trompettes et tambours, drapeaux au vent nous avancions c’était terrible et autour de nous le duel d’artillerie continuait. Les blessés à notre vue reprirent courage et crièrent vive l’empereur.

Toujours avançant, notre batterie d’artillerie se tut, laissant la place à celle des anglais qui nous mâchaient de leurs tirs précis. Nous étions de moins en moins, des lignes d’hommes s’abattaient comme des blés sous la tempête.

Puis soudain des cris, » la garde recule, la garde recule », ce ne fut  plus qu’une panique généralisée, les troupes refluaient. Les anglais maintenant avançaient, la digue était rompue, rien ne put arrêter l’ennemi.

Nous ferraillâmes sec, tirions, chargions pour nous dégager, mais toujours nous reculions. Nous n’étions plus que poussière poussés par un mauvais vent.

J’étais dans un carré on se défendait pieds à pieds, puis tout se désagrégea, comme les autres je me dispersais, nous étions je crois près de Belle Alliance, nous courions vers l’arrière, la garde pour la première fois avait craqué, nous ne réfléchissons plus, fuir, vivre, où était l’empereur, où étaient les généraux.

Au loin nous entendions la grenadière qui sonnait un rassemblement lugubre, mais nous courions toujours  toujours, il y avait des soldats partout, en loque, effarés, hébétés. Un lignard nous avisa que les prussiens pour se venger fusillaient les soldats de la garde, alors nous empruntions des capotes de lignards à des morts pour nous fondre dans la vague de cette marée descendante.

On arriva à Charleroi,  la panique était généralisée, mais peu à peu les officiers nous regroupèrent, reformèrent des bataillons. Un semblant de garde impériale se reforma et empêcha les lignards de continuer à fuir.

L’armée était encore impressionnante par son nombre mais la défaite était là

Le 21 juin nous étions à Laon,le maréchal Soult était là et réorganisait les troupes. Il restait 6000 hommes à la garde impériale.

Le lendemain nous apprenions que Napoléon avait  abdiqué pour son fils, tout cela pour ça, des milliers de morts pour un enfant au main de l’empereur d’Autriche et au sein de la salope à Neipperg.

J’en pleurais de rage, je criais à la trahison, certains brisèrent leurs armes d’autres s’en allèrent. Ce fut le général  Roguet qui remit un peu d’ordre.

On arriva près de Paris, la faim était toujours là,  voici 14 jours qu’on avait quasiment  le ventre vide, on visita illégalement quelques maisons et on se précipita dans les cabarets. Notre faiblesse entraina l’ivresse et les bagarres.

Tous nous étions  sous Paris prêt à en découdre, nous venger et défendre notre pays, mais l’empereur n’était plus là et sans lui.

Puis tout alla très vite, trop vite, l’empereur allait quitter la France et nous on se retirait derrière la Loire pour être licenciés.

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