
Le 1er novembre 1813 Napoléon était à Francfort, ce fut sous les tonnerres d’acclamations qu’il nous passa en revue sur la place. La campagne de Saxe se terminait, nous avions perdu le grand duché de Varsovie, l’Allemagne et la confédération du Rhin n’existaient plus.
Il nous fallait maintenant défendre la France. De la magnifique grande armée il ne restait rien, hormis la garde, ce n’était qu’un défilé de spectres chiasseux minés par la dysenterie. La cavalerie était réduite à néant et l’on sentait que chez certains hauts dignitaires la foi envers l’empereur diminuait considérablement.
La vieille garde s’installa à Mayence, j ‘y étais déjà venu mais là c’était différent, il y régnait un désordre impressionnant et nous étions conviés à y mettre un terme.
Parfois on employait la force, car les isolés des régiments repartaient directement chez eux en France. Beaucoup de monde dans les hôpitaux, le typhus faisait des dégâts considérables. Il fallut donc regrouper, soigner les pauvres hères qui arrivaient dépenaillés. Il y avait aussi ceux qui profitaient de la misère d’autrui et qui spéculaient sur le moindre bout de pain.
Le tondu repartit le 7 novembre de Mayence,pour Paris afin d’y réorganiser l’armée qui défendrait la France. Nous, au bivouac on espérait qu’il allait faire fusiller quelques salopards qui le trahissaient. Il n’en ferait rien et le duc d’Otrante ainsi que le prince de Benevente continueraient leurs intrigues.
On reprit nos sacs et l’on fuit Mayence où décidément les morts nous empoisonnaient la vie. A Trèves ce n’était plus la même chose, en ville ou dans les villages environnant nous menions belle vie en attendant les jeunes qui nous renforceraient et que nous devrions instruire.
Moi j’avais un billet de logement chez une veuve, depuis le deuxième jour, je ne dormais plus dans la grange mais dans une belle chambre aux draps blancs. Il y régnait une douce chaleur, car la maîtresse des lieux apportait une attention extrême à entretenir un hypnotisant feu. Il n’ y avait pas que les braises de l’âtre qui m’envoûtaient. J’avais succombé au charme de cette femme sans homme, je me perdais dans ses hanches larges et souvent le soir la tête posée sur sa poitrine voluptueuse ma pensée divaguait vers Taugon et ma maison natale. Le vin du Rhin et le corps accueillant de ma logeuse me firent reprendre des forces. Cette idyllique vie était comme suspendue au milieu du gouffre de la tourmente Napoléonienne. Les troupes hésitantes des alliés se rapprochaient de nos frontières et il y avait fort à parier que ce n’était pas notre faible armée qui allait contenir ces torrents d’ Autrichiens, de Prussiens et de Russes.
Napoléon allait devoir compter sur nous et à Trèves c’est le général Roguet qui nous reprenait en main.
Il est vrai que tous les mouvements que nous avions effectués au cours de ces derniers mois avaient quelque peu altérés notre discipline.
Le 5 décembre 1813 ce fut le grand bazar, on nous obligea à assister à une messe pour l’anniversaire du couronnement. Grande tenue astiquée, briquée, moi je n’aimais guère les bondieuseries, mais bon c’était notre tondu qu’on honorait. J’eus de la chance de ne pas en être pour celle à la cathédrale de Trèves avec tous les galonnés et les empanachés, moi j’avais la bourgeoise qui pieusement me coulait des regards langoureux de sa travée. Dire que j’allais devoir abandonner ce paradisiaque endroit où les allemands aimaient encore les français.
Pourtant notre univers craquait de partout et la catastrophe que nous redoutions arriva plus rapidement que prévue. L’empereur tout à la création d’une nouvelle armée pensait avoir encore du temps et s’imaginait à tort que les coalisés allaient attendre le printemps pour franchir nos frontières.
Il n’en fut rien et c’est un fleuve qui se déversa sans qu’aucun barrage ne puisse le retenir, les maréchaux sans Napoléon n’étaient que des marionnettes à qui il manquait les fils. Ils nous fallut plier bagage sans esprit de retour, avec la division nous primes le chemin de la France. Le temps était infecte, de la pluie et encore de la pluie, les chemins boueux nous collaient aux chausses, de véritables fondrières n’ayant rien à envier à la Russie. Le ravitaillement ne suivait évidemment pas et en Allemagne comme en Belgique la population sous l’effet de la défaite ne nous souhaitait pas meilleur vœux, mais plutôt mauvais vent.
Nous faisions front souvent mais comment arrêter un fleuve en cru avec une petite cuillère.Maintenant que nous étions en France des paysans français nous servaient de guides parmi les chemins de travers, nous permettant de marcher plus vite que nos ennemis.
Ici la population était encore bienveillante et des partisans en sabots faisaient le coup de feu contre les envahisseurs.
Par contre la faim nous tenaillait et ces pauvres malheureux avaient bien de la peine à pourvoir à notre alimentation. Alors ils nous arrivaient encore de piller par ci par là.
J’appris avec les camarades de ma compagnie qu’on se dirigeait vers Reims, au moins si j’avais perdu la vie à ce moment là elle n’aurait pas eu la monotonie de celle d’un paysan de Taugon. Les paysages succédaient aux paysages, nous en avions plein les jambes car les vallons avec nos charges et la neige dans laquelle nous nous enfoncions nous paraissaient des montagnes insurmontables.
Nous cantonnions près de la cathédrale, même un sauvage n’aurait pas mis son chien dehors, pourtant nous y étions . La précipitation de notre arrivée n’avait pas permis que l’on nous délivre des billets de logement.
De toutes façons nous courions maintenant sur Langres, menacés par les autrichiens et les nombreux royalistes qui s’étaient réfugiés dans la place.
Il gelait à pierre fendre lorsque nous pénétrâmes avec notre chef le maréchal Mortier dans la ville. Le sol était tellement pris que nous peinions à tenir debout dans les rues aux pentes raides. Plus aucune trace de ces salauds de royalistes, nous nous jurions d’en embrocher quelques uns avec nos baïonnettes.