
Comme chacun sait cette campagne fut une déroute, elle commença pas des pluies diluviennes avec une forte chaleur, les chevaux crevèrent par milliers. Les hommes souffrirent de la faim et de la chaleur, les russes se dérobaient et brûlaient tout. Le merveilleux ordonnancement imaginé par l’empereur se détraquait peu à peu, le nombre imposant d’hommes fit que l’intendance ne put suivre. Le cheminement s’étirait sur des dizaines de lieux et comme en Espagne il fut question de partisans qui frappaient les lignes de communications.
Mais on avança quand même , Vitelsk puis Smolesk. Toujours pas de bataille rangée, les russes fuyaient et fuyaient encore.
Enfin ils firent face à Borodino, jamais de mémoire d’hommes une bataille ne fut si terrible, les pertes furent énormes. Napoléon n’engagea pas sa garde, certains disent que si il l’avait fait, les choses auraient tourné d’une autre manière. Peut-être ou peut-être pas, on gagna néanmoins cette tuerie selon les critères de l’époque à savoir que celui qui restait sur le terrain était vainqueur.
Alors nous l’étions , mais les réserves d’hommes comme mon régiment, étaient très loin et il y a beau temps que les communications étaient fermées.
Le sommet de la campagne fut la prise de Moscou, les milliers de dômes d’églises, des palais et malheureusement l’incendie. Les Russes ne voulaient toujours pas traiter c’était vraiment une chose inattendue et notre empereur se morfondait.
Les russes ne restaient pas inactifs pendant que Moscou était pillé, notre magnifique Murat roi des cavaliers se fit mordre près de là.
Avant que ne tombe l’hiver russe, que l’armée ne fut vaincue par la famine d’un blocus il fallait partir.
Ce fut une immense catastrophe, les hommes si beaux crevèrent de faim et affaiblis périrent de froid. Certes il ne faisait encore pas bon se trouver devant les dernières ruades de la grande armée agonisante mais ce n’était que les derniers soubresauts d’une bête morte.
Il ne m’appartient pas de conter une campagne où je n’étais point et nous allons reprendre quand moi mon heure de gloire arriva.
Après la déroute l’empereur en travailleur de génie acharné, remodela une armée, il fut grandiose comme un cheval de course poussé dans ses derniers retranchements.
J’en fus comme ancien d’Espagne et le 6 août 1813 j’appartenais au 2ème régiment de chasseurs de la vieille garde. Enfin je tenais mon saint Graal, la vieille garde bien que n’ayant plus rien à voir avec celle des débuts portait encore beau. L’intendance et les ordres aboyeurs de l’empereur faisait qu’elle était dotée en priorité. Elle ne serait plus désormais juste une garde prétorienne gardienne de palais mais une véritable armée fer de lance d’une reconquête européenne.
Nous la garde nous nous étions épandus dans nos cantonnements, j’avais pris l’habitude en Espagne de ne manquer de rien. Ce que je n’avais pas je le prenais, les paysans du coin en faisaient les frais. Leurs volailles, leurs cochons , leurs victuailles en générale nous en étions friands. Pour le feu rien de plus simple que leur vieille porte de chêne ou leurs planchers décrépis.Ces gens nous détestaient férocement comme ils détestaient tous les gens de guerre.
Ce qu’ils n’appréciaient pas du tout en plus de nos pillages c’était le troussage de leurs femmes. Enfin le mot est sans doute faible pour parler de viol, mais à la guerre comme à la guerre. Nous avions des besoins et guère le temps de jouer les jolis cœurs alors nous prenions encore et encore. Moi j’avais ma technique, je ne supportais pas le regard suppliant ou haineux de ces teutonnes alors je m’efforçais de les recouvrir de leurs jupons levés. Je ne me considérais pas comme un monstre, nous étions en guerre et elles étaient de nos ennemies fussent elles d’inoffensives.
Je constatais aux récits de certains rescapés que les sévices que les russes faisaient subir à leurs prisonniers n’avaient rien à envier à ceux du peuple espagnol. Je n’avais pas la prétention d’être meilleur mais dans la garde impériale nous massacrions rarement nos prisonniers. J’avais enfin vu mon empereur, pas encore de près mais je l’avais vu entouré de son état major. J’étais prêt à mourir pour lui .
La paix qu’il avait obtenue grâce aux batailles de Lutzen et Bautzen venait d’être rompue, nous étions dans la ville de Dresde et d’un jour à l’autre nous devrions défendre cet endroit.
Au vrai nous avions l’Europe contre nous, ou plus précisément l’Europe en avait après Napoléon.
C’était sûrement subtile comme différence et nous sur le terrain on ne la voyait guère.
Au nord de notre position se trouvait le traître Bernadotte ce salopard devait tout à la France et à son chef, mais il nous combattait. Au centre en Silésie il y avait notre ennemi juré le feld maréchal Blucher avec ses prussiens et plus au sud, un autre traître autrichien nommé Schwarzenberg. Cela faisait beaucoup même pour Napoléon comme on va le voir.
Nous avec Napo on fonça sur Blucher dans l’intention de le battre puis de se retourner contre les forces austro- russes.
La guerre se jouait avant tout avec nos jambes, il faisait un temps de chien. Je me pris à regretter le soleil torride d’Espagne, au moins là bas on pouvait crever au soleil. Alors qu’ici de la pluie et encore de la pluie nous engourdissait les membres et nous glaçait les os, foutu mois d’août .
Marches et contre marches, parfois le chemin disparaîsait complètement sous la boue, les vieux disaient que c’était comme en Russie. L’eau fut impitoyable avec nous, les bivouacs étaient durs et il était difficile de faire du feu. Cela tombait bien car nous avions rien à manger, les voitures de ravitaillement étaient coincées dans les ornières et nous allions plus vite quelles. Heureusement on pilla un peu, nous n’avions pas le droit et nous risquions le peloton, mais appelons cela autrement. Ce n’était que de la débrouillardise et les soldats de la garde étaient particulièrement doués. Nous faisions fi des mères de famille qui nous regardaient les yeux larmoyants, peu nous importait que la satisfaction de nos ventres pleins.