
Napoléon ne revint jamais mettre de l’ordre, trop occupé avec sa jeune Autrichienne. Le peuple qui en avait guillotiné une n’aimait guère sa nièce, mais elle donna de son ventre fécond un gros roi de Rome. L’avenir qui paraissait radieux à Paris pourtant se consumait lentement ici.
Notre cantonnement avait été pris dans une bourgade moyenne qui comportait autant de moines et de nonnes que d’habitants actifs. Les combats avaient été féroces, la populace fanatisée par les pères se faisait tuer sur place. Les femmes folles de rage n’avaient plus l’attrait du beau sexe mais ressemblaient à des folles sanglantes. Elles nous tuaient, nous égorgeaient, nous éventraient, nous émasculaient comme elles auraient donné le sein à leurs enfants. Des orgies de massacre, les afrancesados, nos soutiens étaient impitoyablement exécutés, nos soldats isolés ignoblement dépecés.
Au cours d’un combat ou plutôt à la suite de l’un d’eux, alors que nous avions au prix de dizaines d’entre nous conquis un couvent de nonnes je me mis comme les autres au rang d’animal. La défense avait été féroce, les sœurs folles de rage et de dévouement à Dieu avaient lutté pied à pied avec les guérilleros. Après avoir fusillé un prisonnier je me saisis d’une sœur que je plaquais au sol. Sur de ma force je lui remontais sa bure et la pris comme bête. Ma satisfaction la laissa presque inanimée. Les jours suivants nous les primes à notre service. Curieusement celle que j’avais forcée devint ma servante et aussi ma maîtresse.
Il nous restait évidemment un fond de discipline mais nous étions maintenant des presque guérilleros, boucanés par le soleil, les vêtements usés et les mentalités désabusées.
De temps à autre nous avions la visite éclaire de notre commandant le général Dorsenne, nous brossions nos tenues, cirions nos cuirs et briquions nos armes. Il ne restait jamais bien longtemps nous laissant avec des gradés subalternes.
Aucune occasion de briller, aucune occasion de se montrer, une guerre d’usure à l’image de ce qui se passait sur l’ensemble de la péninsule Ibérique.
A Paris on faisait croire à l’empereur que la haine que nous portait les espagnols, finirait par s’user, rien de moins évident à cela. Heureusement notre unité était t totale, nos gradés et officiers étaient d’un niveau supérieur et nous forgeaient efficacement.
En fait nous n’arrêtions pas de courir à travers toute la Navarre, Dorsenne et Roguet nous menèrent avec panache, c’étaient de grands guerriers.
Les villes de Logrono, Santo Domingo, Aro, Pancordo devaient être occupées par des postes importants, la dissémination de nos troupes était nécessaire car sans une présence continuelle les impôts ne pouvaient être perçus hors, la guerre devait se nourrir de la guerre.
Mais malgré tout la situation ne s’arrangeait guère, Ney le brave des braves, Soult le roi Nicolas , Masséna l’enfant chéri de la victoire ne réussissaient à rien.
Il fut décidé d’envoyer les fusiliers de la garde, nous pensions que l’empereur serait en chemin d’un moment à l’autre et qu’après ce corps intermédiaire, viendrait l’illustrissime vielle garde.
Nos liens de camaraderie s’étaient resserrés pendant nos épreuves et nos combats, j’étais inséparable de Pierre Cardaillac un gars du midi à la parole chantante, là où j’étais il y était aussi.
Au file des mois j’avais relégué ma nonne, bien qu’elle me fusse fidèle comme un chien j’avais été attiré par d’autres beautés. La noirceur des toisons Navaraise et leurs cuisses musclées me ravissaient, une dans chaque village nous y tenions. Parfois lorsque nous revenions après plusieurs mois d’absence dans un village certaines avaient été punies sévèrement. Battues, tuées, inféodées et prostituées à des bandes de guérilleros. Aider les français d’une manière ou d’une autre entraînait péril mortel. Le fait de s’abandonner à un soldat était le comble de l’ignominie, moi je n’y pensais guère, la vie était dure et seule la boustifaille, l’alcool et les femmes nous aidaient à tenir.
Puis des bruits coururent que nous allions partir. Des soldats et beaucoup de sous officiers étaient déjà retournés en France. Moi j’en rêvais et j’attendais mon tour avec impatience. Le grand Napoléon avec une immense armée était bien décidé à s’ engager en Russie, une multitude, une mosaïque de nationalités allaient avaler les hommes du nord. Des vieux qui avaient fait la campagne Polonaise nous disaient que ce n’était pas une bonne idée, qu’au delà des fleuves s’étalaient des plaines sans fin qui feraient fondre en des marches épuisantes, les effectifs.
Dire que cela fut une partie de plaisir de remonter d’Espagne serait mentir, on nous pressait, les marches étaient longues et éprouvantes bien que l’intendance sous les ordres répétés de Clarke notre ministre de la guerre mit tout en œuvre pour nous faciliter la tâche. Nous montions en voiture le plus souvent possible afin de ménager nos jambes. Les miennes étaient maintenant faites pour la marche mais je me faisais bercer par le cahot des roues sur les chemins pierreux et sombrait bientôt dans un sommeil réparateur. Nous en avions fini avec le danger des guérilleros, des coups de mains sur nos campements, des guets-apens, des femmes qui nous poignardaient pendant que nous leur faisions l’amour. Terminé aussi ces prêtres fanatiques qui encourageaient le peuple à nous tuer, à nous torturer. Oui fini cette guerre sale et sans gloire, la gloire m’attendait et peut être apercevrai- je au moins une fois notre empereur.
A Paris on nous amalgama des conscrits, j’étais devenu un vieux et je servais de cadre. Puis on reprit la longue marche direction la Pologne, succession de paysages, de gîtes d’étapes. Nous apprenions aux jeunes les rudiments militaires pendant les étapes. Cela faisait un peu improvisation mais le génie de Napoléon viendrait suppléer à ses problèmes d’effectif. Dans les rangs, il se disait que beaucoup de conscrits désertaient et que les gendarmes avaient fort affaire pour les dénicher dans les bois, dans les métairies et dans les montagnes où avec l’appui de la population ils se terraient.
La garde au moment du franchissement du Niémen était commandée par le maréchal Bessière duc d’Istrie et par le maréchal Mortier duc de Trévise, belle machine de guerre au sein d’un magnifique patchwork d’unités. Hélas mon régiment n’en fut pas, le temps de se rendre sur les lieux je ne fus pas de l’épopée.
Ce désagrément à la gloire fit que je restais vivant et libre pour la suite.
LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 7/25, LES HORREURS DE GOYA
LE GROGNARD DE TAUGON, PARTIE 6/25, LA BELLE A LA CHEVELURE ROUSSE