
Il n’y avait pas que la politique, les affaires communales et les guerres qui nous préoccupaient, mes frères allaient rentrer dans l’âge des mariages.
Ce fut mon frère Louis, le deuxième de la famille qui s’y colla le premier devançant avec fierté son aîné.
La belle était jeunette et s’appelait Marie Micheau, le mariage fut célébré à Courçon chef lieu de canton comme la loi nous y obligeait. Nous étions un mercredi le 20 nivôse an 7 c’était un décadi non travaillé. La noce fut heureuse.
Moi je me trouvais une cavalière qui ne me fut pas cruelle, car ce fut de ce jour que je date mon premier baiser et mon premier contact sensuel avec une personne .
Dire que je fus jaloux de mon frère ne serait pas mentir, je désirais cette belle qui était venu s’installer chez nous . J’entendais ou j’imaginais leurs ébats et cela provoquait en moi des réactions bien masculines que je tentais d’assouvir maladroitement. Marie hantait mes nuits, je cherchais sa compagnie et la frôlait plus que de raison dans l’exiguïté de notre chez nous.
Jean mon aîné se maria 4 mois plus tard, elle se nommait Louise Peigné âgée de 22 ans, nous étions encore un décadi et encore à Courçon mais il faisait un brin plus chaud.
Si au premier mariage j’avais goûté les joies du contact féminin à celui-ci je me délectais des ivresses de l’alcool. Je me pris une fameuse casquette et malgré le fait que des décennies soient passées je m’en souviens encore.
Cette belle sœur bien que j’en eusse pu en faire mon agrément n’était pas vraiment à mon goût, une froide beauté émanait d’elle mais cette silhouette statuaire ignorante des débordements de chaleur, m’auraient à coup sûr détourné d’elle.
Je n’en étais qu’aux rêves et la préoccupation qui nous habitait, tout fut éclipsé par l’arrivée au pouvoir du général Bonaparte. Héros somptueux de la campagne d’Italie, héros d’une épopée égyptienne en demie teinte, puis habile fossoyeur d’un régime moribond.
C’était sans qu’on le sache la fin progressive de la république et l’avènement d’un homme et d’un système. Bien que l’on ne sache pas grand chose de lui nous le vénérions déjà. Je me voyais à ses cotés pour conquérir le monde, mais aussi il faut bien le dire pour fuir mon univers ennuyeux de le Ronde et de Taugon.
Je n’étais pas en âge de servir à grand chose mais j’y pensais et cet espoir comme celui de ma rencontre charnelle avec une femme illuminaient ma vie.
Mes frères et notamment Jean Augustin le troisième n’en menaient pas large face à la conscription, le vil en aurait fait dans ses chausses chaque fois que le maire approchait de la maison.
Lorsqu’on apprit la victoire de Marengo sur les Autrichiens j’en pleurais de joie, je n’étais pas seul et avec les camarades on se refit un semblant de bataille.
Ma Joséphine à moi pour le moment était ma petite sœur Marie Magdeleine, seule élément féminin avec ma mère, cette fillette presque femme avait à mes yeux un brin de sacralité. Je l’aimais et elle m’aimait, nous ne nous quittions guère et ma mère au maugréant disait qu’on aurait bien pu chier ensemble.
La famille fut touchée par un drame, la petite Marie Magdeleine ma belle sœur mourut des suites d’un problème féminin. On ne m’en dit pas plus je n’étais qu’un drôle.
Consulat, consulat à vie le diable montait et des mals embouchés craignaient qu’il ne prit la grosse tête.
Mon père lâcha l’affaire en avril 1803, âgé de 62 ans il était sans doute usé par le labeur et bien qu’il nous sembla encore vaillant il n’en décéda pas moins.
J’étais maintenant sous la coupe de mon terrible frère Jean sans que ma mère ne puisse tempérer sa haine contre moi.
Jean Louis se remaria, avec une autre Marie Magdeleine, elle était de Vix une autre île dans les marais. Celle là je ne l’aimais pas du tout et croyez moi elle n’avait guère de charme, à moins que ma présomption à tout savoir, inhérente à mon jeune âge, ne me le cacha.
Jean Augustin convola avec une fille du village en avril 1804. Je n’en parlerai pas plus encore une belle sœur, encore un coup de poignard dans ma libido, car tous ces couples qui ahanaient en cœur dans l’intimité approximative de notre petite maison me provoquaient un malaise grandissant. Je n’avais pas de petite en vue et je me voyais finir puceau.
Mais assez parlé de ma famille des événements importants arrivaient. Consul dans l’esprit de Bonaparte ce n’était pas assez, il lui fallait plus grand, plus beau. Il ne se voyait pas roi, trop de mauvais souvenirs, l’obstacle était infranchissable.
Mais l’infatué se voyait bien Empereur, référence à Charlemagne et aux empereurs romains sans doute .
On nous conta la cérémonie, le faste, le pape, la chaude Joséphine qui fut couronnée impératrice par son mari. Les dignitaires en tenue de sacre, empêtrés sous les ors, la liesse des parisiens qui n’en croyaient pas leurs yeux. Onze années après avoir guillotiné le falot Louis on en prenait un autre au prénom bizarre.
Cela faisait rêver et moi dans mes marais, penché sur ma charrue, je me voyais bien participer à cette belle aventure.
J’étais trop jeune mais peut être qu’un jour bientôt… Vous vous doutez que les ennemies ne nous manquaient pas et bientôt les empêcheurs de tourner en rond allaient être châtiés.