
Photo non contractuelle d’un moulin tour , ceux de la Roulière ont disparu sans laisser de trace
Pierre qui pourtant a beaucoup de choses à faire s’assoit un peu sur le muret de pierres sèches et contemple l’activité de ruches qu’il y a autour de lui.
En ce dimanche 4 mai 1710, toutes les personnes qui sont là gravitent comme des planètes autour d’un astre et il s’avère que ce soleil du jour n’est autre que lui même.
Sous l’immense remise, des paysannes venues des environs s’activent pour finir de dresser une gigantesque table. Elles ont déjà recouvert les planches de bois mal équarries avec des draps blancs. Marie sa sœur préside, organise, commande aux taches diverses, elle est pour l’instant la maîtresse du lieu. La blancheur de ces nappes, elle en est très fière et elle affirme à toutes modestement qu’elle n’y est pour rien et que ce sont les eaux pures du ruisseau qui coulent en contre bas qui font merveille.
Normalement l’organisation d’un tel événement est dévolue aux mères des mariés, mais malheureusement celle de Pierre est morte depuis environ 5 ans et celle de Marie sa future également.
Une bizarre coïncidence a fait que Marguerite Magnin épouse Fleurisson et Marie Rousseau épouse Brillouet soient emportées le même mois de la même année. C’est un cruel rapprochement pour les deux êtres qui vont unir leur vie mais c’en est un supplémentaire.
C’est donc Marie sa sœur cadette qui préside à l’ordonnancement de la noce.
Cette dernière a l’âme d’un chef et ce n’est pas son mari Louis Moisnet qui dira le contraire. Petite, replète, le teint rouge d’une coureuse de champs, elle porte à la mamelle deux petits pillards. Sa forte poitrine suffit à peine à repaître Marie deux ans et Jean un an, en tous lieux et en tous temps elle doit satisfaire ses deux gloutons. Pierre l’observe à la dérobée tout en donnant des ordres, elle entrouvre largement son corsage pour donner la tétée. Le spectacle est d’importance une bonbonne aux seins nus donnant des ordres voilà qui pourrait faire l’objet d’une saynète de théâtreux.
Pierre a confiance en sa sœur même si il la sait aigrie de n’avoir pas fait en son temps un beau mariage. Pour sa première union le père l’avait vendue à un garde des eaux et forêt, le barbon avait soixante dix ans alors que la pucelle fleurait bon les vingt deux. En échange de sa fleur et de quelques nuits d’amour, le vieux avait eu la complaisance de mourir en lui laissant un petit pécule. Cela ne compensait pas la »dégoutance » de se voir prise par un vieillard, mais permettait maintenant d’être veuve et de prendre un meilleur parti. Ce fut Louis Moisnet, un vil journalier qui obtint la veuve et son bien. L’homme était travailleur, honnête et à sa convenance physiquement. Mais pour elle on l’avait démariée encore une fois et chaque jour qui passait, augmentait sa rancune.
Jeanne l’autre sœur de Pierre apparait à son tour, elle n’a pas le physique grassouillet de sa sœur mais plutôt celui d’une plante qui aurait grandi trop vite. Plutôt grande, sèche comme une planche de cercueil, elle est au visage d’une beauté assez sauvage, nez retroussé, lèvres pulpeuses et yeux d’un bleu d’une trouble transparence. Elle aussi porte sa fille Jeanne âgée de deux ans, cette dernière pour l’heure sommeille mais avant le départ pour l’église, réclamera sûrement son dû. A ses cotés galope le petit Jacques fruit de son mariage avec Pierre Ancelin lui aussi journalier.
Pierre qui n’avait pas eu mot dire pour le mariage de ses sœurs réprouvait fortement les unions de ces dernières avec des hommes qui n’avaient que leur chemise, leurs bras , comme unique bien.
Ce n’est pas qu’il se prenne lui même pour Dieu le père mais tout de même un farinier et des journaliers ne sont pas sur le même pied d’égalité.
Pierre dans la contemplation de ses sœurs ne voit pas arriver son jeune frère Jean. Ce dernier jeune espiègle de quinze ans a revêtu ses beaux habits et compte sur les festivités pour séduire pour la première fois une jeune fille.
Les deux frères se ressemblent et l’on pourrait se tromper si Pierre n’avait de dessiné sous le nez une fine moustache noire là où son cadet n’avait que trace duveteuse. Déjà bâti solidement il ne porte pas encore les lourdes charges des hommes faits mais sa constance à essayer provoque l’admiration de sa famille.
Pierre qui depuis longtemps partage sa couche le moquait de façon graveleuse en lui disant que tant qu’il ne portera pas les sacs de grains et de farine il ne pourra prendre une femme.
Jean se fout bien de ses sarcasmes car une bergère du village ne semble pas croire qu’il ne puisse accomplir l’acte de la trousser. Elle minaude encore un peu mais la place est presque enlevée et Jean le sait cela n’a rien à voir avec le portage d’une quelconque charge.
Jean et Pierre ne sont pas de la même mère que leurs deux sœurs Jeanne et Marie.
Le vieux comme tout le monde l’appelait sans irrévérence s’était marié cinq fois.
Elles sont toutes enterrées, ses femmes Fleurisson; ainsi que la majeur partie de la progéniture qui leur était venue. Des douze enfants qu’il avait conçu, seuls ses quatre lui restaient.
L’ancêtre pour l’instant est quelque part à jacasser ou à trousser une lichette de piquette du Gué d’Alleré avec d’autres vieux et son frère Nicolas.
Pierre respecte son père comme un christ, c’est lui par son esprit d’entreprise qui est à l’origine de tout.