RÊVES OU SOUVENIRS, Épisode 5, Comme une étrange impression

Que vais je faire de ma journée, comme hier et comme avant hier et probablement comme demain, rien. Le vide abyssal d’une vie qui s’étire, le gouffre du temps qui fuit, la monotonie des jours sans fin. Comme un réveil qu’on remonte, oui comme ceux d’autrefois. Je mets mon sablier en mouvement et attend que mon apparition ne vienne me rendre visite. Elle est extraordinaire, elle sait tout, a pénétré mon cerveau, connaît mes pensées les plus profondes, elle se déplace dans mes souvenirs avec une agilité que le temps qui passe a estompé chez moi. Je crois aussi qu’elle lit mes rêves et oui c’est bizarre les vieux rêvent encore. Enfin se découpe mon arrière grand mère sur sa chaise, c’est bizarre elle est identique aux autres fois, même coiffure, mêmes habits. J’en déduis qu’une apparition ne se change pas de vêtements et me dis que c’est sûrement d’une idiotie sans nom que de se dire cela.

Elle reste muette, mais sa présence déclenche en moi une drôle d’impression, j’ai l’impression de m’envoler, loin très loin. Le paysage n’est plus le même, ce ne sont pas les nuages de ma fenêtre, ce sont pas les cimes des arbres qui comme des métronomes oscillent face à mon horizon.

Non il y a des coteaux et des sources qui jaillissent, c’est vert, très vert, ce n’est pas un paysage actuel car maintenant tout est brûlé par ce foutu réchauffement qu’on a stupidement provoqué.

Je ne sais pas où je suis exactement, il y a aussi des vignes, beaucoup de vignes, serait-ce la Charente , non les maisons sont différentes, les pierres sont différentes.

Soudain je crois reconnaître, oui j’en suis sur, je suis déjà venu plusieurs fois ici . C’est l’église qui m’appelle, il y a d’ailleurs foule sous le porche.

J’ai l’impression de les connaître tous, curieusement j’ai même le sentiment qu’ils sont de ma famille.

La mémoire me revient, je suis à Saint loup de Naud en Seine et Marne l’édifice que j’ai devant moi est bien trop caractéristique pour que je ne l’identifie pas.

Le porche en saillie, protège un somptueux portail, derrière les paysans recueillis j’aperçois Saint Loup qui reçoit une pierre précieuse du ciel , puis juste au dessus la vierge Marie en intercession.

Encore plus haut sur le tympan le christ en majesté entouré des symboles des quatre évangélistes.

A droite trois statues dans leur niche, Saint Pierre, le roi Salomon, et le prophète Isaïe. En face il y a saint Paul, la reine de Sabbat et Jérémie.

Les portes sont grandes ouvertes , la foule pénètre dans les entrailles de la maison de Dieu.

Tous sont recueillis à l’extrême, il y a un cercueil, je suis mal à l’aise, j’ai la sensation bizarre que je fais corps avec le mort.

Il y a un vieil homme qui semble très affecté, on le nomme Jacques, on le plaint, à ses cotés une dame plus jeune, mais touchant sûrement la soixantaine. Elle a la tête relevée et est visiblement beaucoup moins abattuE que celui qui semble être son mari.

Je me poste sur la tribune qui domine une chapelle, c’est un peu vermoulu mais la vue y est magnifique.

Une jeune fille triste et recueillie, tient la main d’un petit garçon, elle n’est pas encore femme, tout au plus 17, 18 ans. L’enfant qui peureusement se serre fort contre elle n’est pas son fils mais plutôt son frère.

Juste derrière il y a trois garçons, à la mine grave, Pierre, Paul, et Nicolas, ce n’est pas une trilogie ni un inventaire ce sont les frères Beaumont . Car oui comme une face qui se révèle, je remets maintenant tout ce beau monde . Un peu en retrait une femme toute de noire vêtue, elle est belle dans sa robe de deuil, elle ne regarde rien et l’on voit que sa peine est infinie, c’est Marguerite fille Guiller, femme Beaumont et maintenant veuve Beaumont, je compte sur mes doigts, mais elle est mon ancêtre à la septième génération. Dans ses jupes un enfant pleurniche c’est Vincent le petit dernier. La famille évidemment ne serait pas complète si il n’ y avait pas la kyrielle de cousins et de cousines. Chez les vignerons tous sont plus ou moins apparentés

Ici c’est le pays traditionnel de la vigne, le vin qu’on produit ici c’est le vin qu’on appelait autrefois le vin Français, c’est du vin blanc en majeur partie, bien qu’on commence à faire du rouge aussi. Il est effroyablement vert et acide mais pour les ouvriers parisiens il est peu cher et en abondance. Il part par charrois ou bien descend la Seine jusqu’à Paris. Autrefois il y avait bien le marché anglais mais la guerre avec les buveurs d’outre manche empêche maintenant le commerce par delà la mer.

La cérémonie commence, le curé officie pour François Beaumont, 43 ans une force de la nature, toujours le premier levé et le dernier couché, sa vigne l’une des mieux entretenues, fournit un raisin magnifique. Mais la petitesse de sa parcelle l’obligeait à en entretenir une plus grande qui ne lui appartenait pas. Les vignes étaient passées en partie dans les mains des bourgeois qui y voyaient un investissement rentable.Si l’oppression féodale des nobles avait disparu celle du profit avait pris une réelle ampleur.

D’épuisement en épuisement François qui voulait s’élever s’affaissa. Le nez dans la terre, affalé dans un sillon, ses bras serrant presque amoureusement un cep, on le retrouva. Une jeune veuve, sept enfants et un vieux père qui se demandait bien comment il allait poursuivre l’œuvre que voulait accomplir son fils. L’aîné Jean Jacques âgé de quinze ans était encore un peu tendre pour assumer la succession .

Pourquoi sur mon siège je rêve à cela, jamais au grand jamais je n’ai entendu parler de cette famille tant elle est éloignée de moi. Mon père ne s’y intéressait absolument pas. D’ailleurs je pense que s’occuper de ses ancêtres morts c’est un moyen d’exorciser le fait qu’on ne s’occupe plus des ancêtres vivants. Enfin c’est mon opinion.

Mais bon tous les cas sont différents je ne suis pas là pour juger. Ce qu’il y a aussi d’Intéressant c’est qu’on ait occulté complètement l’existence de ce vignoble seine et marnais hormis quelques vignes dignes de pitié qui s’accrochent au flanc de la tour César de Provins. Je ne savais pas gamin que j’étais né dans un pays de vignoble et que du sang de vigneron coulait dans mes veines. Mais que peut-on tirer de cette divagation, de ma présence à l’enterrement d’un ancêtre lointain. Dans ce fatras de bizarres sensations est-ce que je peux en déduire que ce deuil et que les difficultés qui en sont survenues ont influencé une quelconque parcelle de ma vie, je ne le pense guère et je retourne mon sablier.

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